mercredi 28 novembre 2007

À quand les classes d’accueil pour parents immigrants ?

Véronique TARDIVEL

Cet automne (*) devait avoir lieu la mise en place du nouveau plan d’action interculturel de la CSDM. Un mois après la rentrée scolaire, où en sommes-nous ?
Adoptée lors de consultations publiques en mai dernier, la nouvelle politique interculturelle de la commission scolaire montréalaise donnait le coup d’envoi pour le développement de stratégies concrètes afin d’améliorer l’intégration des élèves et des parents issus de l’immigration. Un million de dollars a été dégagé cette année pour appuyer ces initiatives.

"Je me souviens étant jeune, lors d’une sortie à la cabane à sucre, d’avoir amené mon lunch croyant que nous allions faire un pique-nique dans les bois."


La CSDM présente une mosaïque interculturelle unique et un défi d’intégration de taille. Sur les 73 000 écoliers qu’elle accueille annuellement, 50 % ne parlent ni le français ni l’anglais à la maison. Ces jeunes proviennent de 180 pays et, ensemble, maîtrisent quelques 150 langues et dialectes. Que cette nouvelle politique amène un vent de fraîcheur au sein de la population enseignante et des divers organismes et communautés culturelles n’a rien d’étonnant. Les besoins d’une meilleure communication et compréhension mutuelle entre les parents et l’école se font de plus en plus ressentir.

« Je me souviens étant jeune, lors d’une sortie à la cabane à sucre, d’avoir amené mon lunch croyant que nous allions faire un pique-nique dans les bois. Sur le coup, c’était embarrassant, mais imaginez-vous le trouble pour les parents nouvellement arrivés lorsqu’il est question d’inscription, de transport scolaire ou encore de service de garde ! » Originaire de la Hongrie et arrivé au Québec à l’âge de 11 ans, Akos Verboczy est maintenant commissaire scolaire de son quartier d’adoption, Wesmount/Côte-des-neiges. En tant que président du comité des relations interculturelles de la CSDM, qui a initié cette nouvelle politique d’intégration, son cheminement personnel lui apporte une expertise et lui confirme l’urgence d’agir : « Je représente la génération des enfants de la loi 101 qui habitent et qui aiment Montréal. » Monsieur Verboczy est conscient des nombreuses problématiques entourant la réussite scolaire des nouveaux élèves issus des différentes communautés.
Enseignante au secondaire depuis quinze ans à la CSDM, Jasmine Langevin est confrontée chaque jour à de nouvelles réalités. Selon elle, le plan d’action arrive à point : « Le visage du réseau montréalais de l’éducation a changé énormément depuis les sept dernière années. Il est courant de devoir communiquer avec les parents pour leur expliquer l’importance de fournir à leur enfant le matériel scolaire nécessaire, ou même de voir un jeune servir d’interprète lors des rencontres avec les parents. »

Les projets évoqués par la nouvelle politique interculturelle sont variés : cela va de la distribution de fiches d'information sur le système scolaire québécois à l'utilisation du service de garde comme manière de personnaliser le lien avec les parents. On prévoit des formations à composante interculturelle pour le personnel enseignant ainsi que des cours de francisation pour les parents qui pourraient prendre la forme originale de classes d’accueil.

"Il est important pour nous, société d'accueil, de nous affirmer."


Durant les consultations publiques du printemps dernier, les parents ont exprimé le besoin d’être mieux initiés aux valeurs et la culture québécoise. Monsieur Verboczy mentionne « qu’il est important pour nous, la société d’accueil, de nous affirmer et de promouvoir notre patrimoine auprès des autres cultures ». Aussi, les membres de son comité se penchent actuellement sur la problématique de l’explication des bulletins : « Ce n’est pas tout de traduire le jargon technique, il faut mentionner les motivations et la philosophie derrière nos modes d’évaluation et ce, tout en restant ouvert aux échanges et aux commentaires constructifs ». Ces classes pour parents immigrants auraient alors pour objectif de leur offrir une meilleure compréhension du système d’éducation québécois dans son ensemble.

Des idées, donc, ce n’est pas ça qui manque ! Mais quand et comment verrons-nous se concrétiser ces stratégies ?

« L’enveloppe de un million de dollars sera répartie par quartier et par projet. » Akos Verboczy souligne que cette formule de budget participatif décentralise le pouvoir et le remet entre les mains des parents et des responsables de quartier. « Au début de janvier prochain, les comités de quartier formés respectivement du commissaire et des représentants du conseil d’établissement de chaque école, habituellement un parent et un membre de la direction, seront en mesure de pouvoir présenter leurs idées. Notre défi sera de veiller à ce qu’ils travaillent ! »

"Ces nouveaux professeurs comprennent davantage la réalité des jeunes d'origines diverses."


Le commissaire est confiant quant à la réalisation du plan d’action et cite en exemple l’application de la politique d’accès à l’égalité en matière d’embauche. Elle est entrée en vigueur en 2005 et ses effets se font déjà ressentir. À l'heure actuelle, 12 % des employés de la commission scolaire proviennent de minorités ethniques visibles, un pourcentage qui tend à augmenter.
« Cette année, à l’école, il y a une suppléante qui porte le voile et un enseignant Haïtien a également été engagé ». Cette meilleure représentation élèves-enseignants rend Madame Langevin, confiante. « Ces nouveaux professeurs comprennent davantage la réalité des jeunes d’origines diverses. En plus de parler leur langue et de connaître leurs valeurs, ils sont des modèles de réussite ».

Sachant que cette année Montréal recevra 48 000 nouveaux venus, la mise en application de la politique interculturelle de la CSDM reflète une réalité et un besoin criant qui étaient jusqu’alors peu documentés en milieu scolaire. Elle vient appuyer un mouvement de plus en plus important d’initiatives favorables au développement de relations interculturelles harmonieuses. Pensons au projet de jumelage entre immigrants et Québécois, aux festivals et événements à saveurs multiculturelles ou encore à des projets d’éducation des jeunes aux droits humains comme celui d’Équitas. Présentement, la reconnaissance des équivalences de diplômes des nouveaux arrivants, la représentativité politique, l’application de mesures contre le racisme et la discrimination, sont autant de thèmes et de débats quotidiennement abordés par les médias et par les différents niveaux de paliers politiques. Soit, la CSDM se colle à notre nouvelle réalité de société plurielle et prend le virage à temps.

(*)Cet article est paru dans l'édition Automne 2006 du Jumelé

Double minorité:
hommes immigrés et éducateurs à la petite enfance

Blandine Philippe


1976, le général Videla s’empare du pouvoir argentin. Une répression très dure s’engage alors contre les mouvements d’opposition se manifestant par des exécutions et la pratique de la torture. Plusieurs dizaines de milliers de personnes disparaîtront sous les armes de la junte militaire. Une situation insoutenable, obligeant Alberto Iscla à quitter précipitamment le pays avec sa femme Alicia et leur jeune garçon de quatre ans.

Sensiblement à la même période, de l’autre côté de l’océan Atlantique, le Kenya coule tranquillement les assises de son indépendance acquise quelques années plus tôt, tandis qu’un des ses enfants, Francis Augustin, quitte avec sa mère le pays de la « terre des lions » pour venir s’installer au Québec.

25 ans plus tard, le cœur d’Alberto continue de vibrer aux rythmes du tango, celui de Francis continue à faire écho aux traditionnels dictons africains.

Deux continents et deux histoires, uniques, brassées par les flots du voyage et du déracinement, deux cultures qui se mélangeront à leur pays d’adoption, et puis à celui d’un territoire commun, celui de la petite enfance.
« Les enfants sont purs, spontanés surtout, sans arrière-pensées et naturels. Je trouvais cela magnifique. » confie Alberto. Pour Francis, le sentiment est le même : « Les enfants ont cette manière de te montrer qui tu es. Ils sont spontanés, honnêtes… ils observent, sont curieux, cherchent la vraie raison des choses… Je me suis beaucoup découvert à travers eux. »

À son arrivée au Québec, Francis grandira dans le quartier Rosemont à Montréal, parmi d’autres enfants, principalement néo-québécois, ses pairs comme il les appelle, soit des enfants d’autres communautés culturelles, italienne ou haïtienne par exemple. Il se souvient avoir eu des difficultés de concentration en classe, ce qu’il explique avant tout par une absence d’identification à son passé. « Ma mère a vécu des expériences difficiles qu’elle a tenté d’oublier en voyageant et en émigrant. C’est éprouvant pour elle de revenir sur son passé, ce qui entraîne pour moi le problème de savoir d’où je viens, et la difficulté d’acquérir un espace à moi. » Ne te penche pas sur ton passé, vis plutôt le moment présent, cela va t’amener à te découvrir toi-même au fur et à mesure que tu grandiras, telle était l’approche préconisée par sa mère.

De son côté, Alberto sera orienté vers Ville-Lasalle par le gouvernement canadien, dès son arrivée à Montréal.
« On est arrivé en avril, il neigeait et il faisait froid. Au début, il a fallu s’habituer au climat, à la langue, à la nourriture, aux horaires… des choses qu’on arrivait tranquillement à apprivoiser. Ainsi, la première année en fut une de découvertes, car tout était neuf. La deuxième année fut la plus ardue : l’étape de l’adaptation commence. Pas évident.. Je refusais de vivre en ghetto avec d’autres Latino-Américains car les ghettos ne favorisent pas l’intégration. Ils te protègent tout en t’isolant. On a donc décidé de quitter Ville-Lasalle où il y avait beaucoup de réfugiés salvadoriens, guatémaltèques, polonais et d’autres nationalités de l’Europe de l’Est, et nous nous sommes installés dans Hochelaga-Maisonneuve. »
Alberto travaillait alors dans un restaurant quand la garderie de son fils lui offre de faire quelques remplacements : il ne savait pas encore qu’une nouvelle carrière s’offrait à lui et qu’il ressentirait instantanément la piqûre pour ce petit monde.

Une croisée de chemins presque similaire se présente à Francis. Il fait lui aussi ses premiers pas en garderie à titre de remplaçant, avant de décider de poursuivre, tout comme Alberto, les cours en technique de service de garde à l’enfance au Cégep du Vieux Montréal.
Voilà deux hommes, de générations différentes, issus de communautés culturelles, plongés dans un milieu de travail presque exclusivement féminin, au cœur de ce nouveau Québec pluriel.

Pour Francis, le premier contrat a été laborieux. Se plonger dans le monde du travail, découvrir les enfants, changer régulièrement de groupe d’âge depuis les poupons à ceux de cinq ans, côtoyer des éducatrices ayant de l’ancienneté… autant d’adaptations multiples : « Même sans culture personnelle, j’avais de la difficulté à m’acclimater à la culture québécoise, dans un milieu de travail où peu de communautés culturelles sont représentées. Il m’était dur de saisir certaines manières d’agir, alors que je voulais toujours comprendre la vraie signification des choses au-delà des mots et des apparences. Moi, un homme, j’étais plongé dans un milieu de femmes et de plus, je suis noir… Me voilà en face d’une foule de petites barrières, confronté bientôt à ma peur des préjugés. J’ai ressenti tellement de peurs qui persistent d’ailleurs aujourd’hui. Je crois que la peur s’atténue seulement si on refuse de voir les vraies choses, c’est-à-dire le racisme, la discrimination et les préjugés. Alors là, oui, tout va bien. Par contre si on regarde la réalité en face, alors on est obligé de veiller à ce qu’on dit et à ce qu’on fait. »

Au cours de ses premières expériences en garderie, combien de fois Francis n’a-t-il pas ressenti de la méfiance à son endroit? Combien de fois l’ombre de préjugés n’a-t-elle pas plané autour de questions sur l’homosexualité ou la pédophilie au point d’en assombrir ses relations professionnelles? Combien de fois son entourage ne s’est-il pas questionné sur les motifs de son amour des enfants, et combien de fois n’a-t-il pas été invité à souper par des éducatrices ou même par des parents dans l’intention de le tester à ce propos?
Or, la première fois était déjà de trop.
Depuis lors, Francis doit faire extrêmement attention, car tout peut être interprété de travers. Une petite blague adressée à un enfant pourrait arriver tout différemment aux oreilles de ses parents… et dans ce cas, tout serait possible.
Bref, du fait qu’il est un homme noir en garderie, Francis se retrouve acculé à un qui-vive quasi-permanent, comme s’il marchait sur des œufs.

Et pourtant, cet éducateur n’a jamais eu quoi que ce soit à se reprocher dans son milieu de travail. Bien au contraire. Pour l’avoir vu à l’œuvre, j’ai constaté qu’il a vraiment le tour avec les petits bouts de chou. Parents et responsables de garderie l’apprécient. Mais curieusement, aucune permanence ne lui a encore été offerte, malgré ses dix années d’expérience. À ses yeux, certains centres de la petite enfance refusent encore délibérément d’engager des hommes et a fortiori, des hommes de couleur.

De son côté et en vingt ans de carrière, Alberto n’a pas été confronté aux mêmes complications que celles décrites par Francis. Comme il le dit lui-même, « si je n’ouvre pas la bouche, je peux passer pour n’importe qui. » Il faut noter qu’à ses débuts, l’équipe éducative de la garderie La Ruche, la sienne, comptait déjà deux hommes. Alberto était par ailleurs marié et père de deux jeunes enfants. Les réactions qu’il pouvait observer étaient davantage celles d’une agréable surprise, amenant même certains parents à lui demander d’apprendre des mots et des chansons en espagnol aux enfants.

Néanmoins, Alberto reconnaît au sujet de l’intégration : « Pour certaines minorités, c’est très difficile. Si l’on regarde la population noire par exemple, et diplômée, rien ne justifie le problème d’intégration qu’elle vit, car dans ce cas, ce n’est pas la compétence qui est en jeu. Quant a moi, je n’ai que rarement ressenti de la discrimination. Mais je sais que celle-ci peut être vraiment méchante, enveloppée parfois de subtilité. Elle ne dit pas « moi, je n’aime pas les Noirs, je n’aime pas les Juifs, ou je n’aime pas les étrangers ». Non, elle peut t’offrir un beau sourire tout en te poignardant dans le dos. Et ce n’est pas toi qui seras engagé, malgré tes compétences. Ce genre de situation, ma femme Alicia l’a vécu. »

Fruits d’une intégration parfaitement réussie, les enfants d’Alicia et d’Alberto, diplômés et trilingues, volent à présent de leurs propres ailes. Ils se situent dans la continuité de la chaîne de vie, et ils ont la chance et le goût de se plonger dans l’histoire mouvementée de celles et ceux qui les ont précédés. Ainsi, ils découvrent une sorte de voyage permanent et de déracinement, à travers plusieurs époques et continents. Il y a les arrière-grands-parents, paysans italiens, venus travailler dans les récoltes de café au Brésil… un grand-père gitan andalou, à la peau basanée … un père espagnol, réfugié en Argentine au moment de la guerre civile… jusqu’à leur propre parcours vers l’Amérique du Nord. Comme si l’histoire humaine se répétait sans cesse, sous d’autres latitudes, et qu’il fallait sans cesse trouver à se nicher en sécurité avant de tenter de se rebâtir à nouveau au sein de diverses sociétés d’accueil.
Et si on lui demande à quel pays il se sent attaché, Alberto Iscla répondra : « Au sujet de la patrie, je reprendrais une phrase de Jacques Brel : pour moi la Belgique, c’est quand je rentrais dans le corridor de la maison et que je sentais la confiture que ma grand-mère préparait. Pour moi, ma patrie, c’est la musique et le tango, les sentiments, les petites choses, les odeurs et les couleurs. Je pense qu’il faut avoir quitté son pays, regarder en arrière, pour se rendre compte de ce qu’est une patrie. »

Cet article est paru dans l'édition Automne 2006 du Jumelé.

lundi 12 novembre 2007

Les enfants de l’avenir
Centres de la petite enfance en changement

Blandine PHILIPPE

Quand Isabelle Pierre chantait en 1970 « Les enfants de l’avenir », elle ne se doutait certainement pas que sa poésie serait annonciatrice de changements si rapides, observables aujourd’hui dans le milieu des services de garde à la petite enfance.

Les enfants de l’avenir
se feront des chansons de couleur
les enfants de l’avenir
vont savoir naviguer aux feux planétaires


Au CPE Les Amis promis, Étienne Anglehart, cuisinier originaire de la Gaspésie, égrène patiemment la semoule de couscous pour ses soixante petits clients. Au même instant, au CPE La Ruche, la fricassée de tofu fume dans les assiettes des soixante-quinze bambins, remplaçant du même coup le jambon ou la traditionnelle côtelette de porc. À quelques kilomètres de là, au CPE Saint-Denis, des petits Cambodgiens apprennent à prononcer le mot fajitas, tandis que leurs camarades mexicains savourent des chapatis.

Nous sommes à Montréal, pour une traversée spectaculaire des couleurs de notre nouvelle jeunesse, guidés par les feux planétaires, de Côte-des-Neiges, à Hochelaga-Maisonneuve en passant par Rosemont.

"J’étais perdu… entre le jambon, la viande de porc, la viande halal, les diverses restrictions, intolérances et aussi allergies alimentaires."



« La première fois que j’ai du préparer les menus, partage Étienne, je ne savais pas qu’on aurait autant d’enfants musulmans. J’ai dû m’y prendre à trois et même à quatre reprises avant de parvenir à les établir. J’étais perdu… entre le jambon, la viande de porc, la viande halal, les diverses restrictions, intolérances et aussi allergies alimentaires. Il m’a fallu également faire preuve d’ingéniosité face à certains produits habituels que je ne pouvais plus utiliser dans mes recettes, tels la guimauve qui contient de la gélatine dans laquelle il y a du porc, ou encore le jello qui lui aussi contient de la gélatine. Finalement, j’ai consulté la nutritionniste de notre CLSC ! »

Étienne n’en était pourtant pas à sa première batterie de cuisine, comptant une vingtaine d’années de métier dans des milieux aussi divers que le Palais de justice, des institutions religieuses et d’autres CPE en région. Mais aujourd’hui c’est différent : il prend conscience, sur le terrain, de l’immense pluralité culturelle du quartier Côte-des-Neiges dans lequel il travaille, où la moitié de sa population est composée d’une immigration récente et qu’il apprivoise tranquillement depuis une année. À son CPE, 90 % des enfants sont de parents nouvellement arrivés et représentent une douzaine de pays différents.

« Au début, précise Étienne, les parents étaient un peu inquiets et aussi gênés sans doute. Ils se demandaient comment j’allais composer avec les restrictions alimentaires de leur enfant. Il m’a fallu les mettre en confiance et leur faire comprendre que mon métier n’est pas de juger mais de respecter. » Une relation de confiance s’établit. Étienne se montre intéressé à comprendre certains rites culturels spécifiques, le principe de la viande halal et des prières qui l’accompagnent par exemple. De leur côté, les parents viennent le rencontrer pour dialoguer et repartent parfois avec la recette du pâté chinois ou de la sauce à spaghetti. Une qualité d’échange qui nourrit Étienne, lui qui n’avait jusqu’alors jamais été confronté à cette réalité dans d’autres CPE, la proportion d’immigrants installés sur l’Île de Montréal étant encore relativement concentrée dans certains de ses quartiers.

Néanmoins, les couleurs des quartiers évoluent progressivement, bouleversant parfois les repères du milieu de la petite enfance, qu’ils soient de nature culinaire, pédagogique ou encore d’ordre communicationnel. Ce milieu semble en effet révéler, avec plus de justesse et de précisions que ne le font les études sociodémographiques actuelles, le renouveau culturel qui se dessine au Québec.

"Il nous faut de plus en plus parler en anglais, bien que certaines éducatrices acceptent encore difficilement de devoir parler aux parents dans une autre langue que le français."


Identifié comme un des bastions les plus francophones de Montréal avec près de 95 % de sa population parlant le français, le quartier Hochelaga-Maisonneuve situé dans l’Est de Montréal, n’échappe pas à ces changements. Sa population immigrante représente à présent 12 % de ses résidents. Dans les garderies, la proportion peut atteindre 30 %.

Carole Barbeau, directrice du CPE La Ruche note des changements notables dans ce sens depuis les six dernières années. Sur la liste d’attente, les nouveaux arrivants deviennent majoritaires. Et à partir du moment où, dans son installation, les enfants musulmans ont représenté près de 20 % de sa clientèle, il a été décidé de faciliter le travail en cuisine en y bannissant la viande porc.

Ce choix semble relativement unanime au niveau des centres de la petite enfance.
Le personnel comprend, apprend et s’adapte, au même titre que « la clientèle semble essayer de s’adapter à la société québécoise, » précise Carole Barbeau.

Les repas ne sont qu’un des multiples aspects de cette nouvelle mixité culturelle. L’approche auprès des parents et au niveau des services offerts est également amenée à évoluer. « On a à cœur d’établir une bonne communication avec les parents. Si le contact quotidien du personnel éducatif auprès des enfants se fait en français, ce n’est pas forcément le cas auprès des parents. Il nous faut de plus en plus parler en anglais, bien que certaines éducatrices acceptent encore difficilement de devoir parler aux parents dans une autre langue que le français » explique Madame Barbeau.

"(...)Une spécialiste de la diversité culturelle pour donner une formation aux éducatrices afin qu’elles soient mieux outillées pour aborder les parents".


Mais au-delà des mots et de la langue, il y a l’incontournable question de la différence culturelle. Andréia Bittencourt, directrice d’un CPE dans Côte-des-Neiges, témoigne :

« J’ai aussi travaillé à Ville-Émard qui, il y a encore peu de temps, était très québécois. Les éducatrices y étaient essentiellement québécoises. Aujourd’hui ce quartier devient de plus en plus multiethnique. Les éducatrices en place ont commencé à avoir de la difficulté à gérer le quotidien et à communiquer avec les parents. J’ai dû faire venir une spécialiste de la diversité culturelle pour donner une formation aux éducatrices afin qu’elles soient mieux outillées pour aborder les parents et aussi pour mieux intervenir auprès des enfants. À titre d’exemple, elle nous a expliqué que si les Québécois sont très directs dans leur manière d’aborder un échange (Bonjour, ça va bien, demain il faut apporter des couches ou encore Bonjour, ça va bien, regardez, vous n’êtes pas à l’heure), cette manière de faire ne correspond pas aux codes de communication de plusieurs communautés. On a donc appris à aborder les parents différemment: Bonjour, comment ça va ? Avez-vous passé une bonne fin de semaine ? Est-ce que la famille va bien, les enfants, les autres bébés, est-ce que tout se passe bien ? »

Ces éléments du quotidien sont subtils et importants à comprendre. Beaucoup de préjugés ont ainsi pu être déconstruits, permettant de créer une toute autre atmosphère entre parents et éducatrices. Dans leur grande majorité, celles-ci sont ouvertes à la différence, mais elles ne savent tout simplement pas toujours comment s’y prendre.

Dans ce contexte, le Regroupement des Centres de la petite enfance de l’Île de Montréal offre à l’ensemble du personnel des CPE des formations orientées sur cette thématique. À titre d’exemple, l’atelier « Moi, toi… et nos deux cultures » aborde la relation adulte/enfant et ses influences au quotidien, en l'intégrant au travail éducatif auprès des enfants d'origines diverses. L'enfant de 0-5 ans issu d'une autre culture est placé au cœur de ces discussions.

Lors de l’implantation récente des garderies en milieu familial, 75 % des éducatrices étaient des nouvelles immigrantes


Il est à noter que les garderies les plus anciennes disposent généralement d’une équipe pédagogique ayant la même ancienneté. Les éducatrices y sont pour la plupart québécoises de naissance. Au CPE La Ruche, crée en 1976, un seul membre du personnel est issu de la nouvelle immigration. Par contre, lors de l’implantation récente des garderies en milieu familial, 75 % des éducatrices étaient des nouvelles immigrantes. Au CPE Les Amis promis, ouvert il y a tout juste une année, neuf des treize employées, soit 70%, sont nées à l’extérieur du pays. Au CPE Saint-Denis, sur les 39 employés permanents et occasionnels, seulement 12, soit à peine le tiers, sont nés au Québec.

"Dans mon personnel éducatif immigré, j’ai des travailleurs sociaux, psychologues, avocates ou encore ingénieures".


Au moment même où le milieu de la petite enfance manquait cruellement de personnel, le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles présentait cette filière comme possibilité d’emploi aux femmes qui arrivaient au pays. Pour la plupart diplômées d’autres secteurs d’activités, ces nouvelles éducatrices se sont repliées vers cette filière « facilement accessible » de la petite enfance car leurs diplômes étrangers ne sont pas reconnus.

Mirea Henriquez, directrice du CPE St-Denis explique : « Dans mon personnel éducatif immigré, j’ai des travailleurs sociaux, psychologues, avocates ou encore ingénieures, qui arrivent avec des diplômes mais qui ont de la difficulté à travailler dans leur domaine et qui du même coup cherchent à faire autre chose. Notre cuisinière mexicaine était travailleuse sociale dans son pays et se résigne à présent en déclarant : je fais ce que je peux faire ici !

Que ce soit dans Côte-des-Neiges, Rosemont ou Hochelaga-Maisonneuve, le constat est le même : les candidatures spontanées, pour ouvrir une garderie familiale ou intégrer une installation gérée par un CPE proviennent de femmes immigrantes dans 85 % des cas.

Cette diversité est désormais du domaine de l’acquis


Serions-nous à la veille d’une minirévolution culturelle dans le monde de la petite enfance ? Enfants et éducateurs proviennent dorénavant d’horizons aussi multiples qu’il y a de pays. Là encore, le consensus des propos recueillis est frappant : tous s’accordent à dire que l’on est en présence, tout simplement, de la réalité québécoise d’aujourd’hui, dans un contexte pluriculturel et que c’est cela vivre la vraie réalité, sous-entendant que cette diversité est désormais du domaine de l’acquis.

Certains parents s’inquiètent parfois. Leur crainte principale se situe avant tout au niveau de l’apprentissage de la langue française. Ils peuvent appréhender qu’une éducatrice dont la langue maternelle n’est pas le français ne puisse offrir l’environnement linguistique auquel ils seraient en droit de s’attendre.

Pour d’autres au contraire, voilà une occasion unique dont ils souhaitent voir bénéficier leur enfant. « Des parents nous font savoir qu’ils veulent profiter de nos éducatrices hispanophones pour que leur jeune enfant apprenne l’espagnol ! s’enthousiasme madame Henriquez. On a donc élaboré un projet pédagogique dans ce sens, incluant des enregistrements de chansons en espagnol pour les parents. Ces derniers nous précisent qu’ils parlent de toute manière en français à la maison avec leur enfant. Les parents étaient très ouverts. »

Dans la foulée, Mirea Henriquez initiait un autre projet novateur au CPE St-Denis, en réalisant un guide sur les habitudes alimentaires qui tienne compte des origines culturelles variées de sa clientèle, tout en les initiant à la vie quotidienne du Québec.

Au-delà des chansons de couleur et des feux planétaires, parions que nos jeunes Québécois, les enfants de l’avenir, nés ici ou ailleurs, sauront bâtir une société dont on ne peut pas encore soupçonner ni le langage ni la couleur : leurs rêves de demain…

Cet article est paru dans l'édition Automne 2006 du Jumelé

mardi 6 novembre 2007

Quand les cultures s’entrechoquent

Gabriel GOSSELIN

Le thème de l’étranger est universel. Le voyageur, l’immigrant, le « Survenant » viennent par leur seule présence dans le pays questionner notre mode de vie. Parlant souvent une langue pour nous étrangère, il laisse derrière lui un passé qui fut souvent un lourd fardeau. Sa nourriture, son habillement, ses prières, il ne nous les impose pas mais il est souvent prêt à les partager.

L’immigrant, tout comme le Québécois pure laine, est troublé et tenté par la société de consommation dans laquelle on baigne ici. Délesté de ses repères habituels, il se retrouve brusquement catapulté dans un bouillon de culture qui satisfait peut-être ses besoins immédiats, mais qui réserve peu de place à ses besoins intimes et vitaux. Résultat : la sympathique rencontre entre « l’habitant et le voyageur » n’a lieu que rarement. Ce vide pousse alors l’immigrant à retraiter vers le confort et la sécurité de son milieu d’origine, avec le risque de ghettoïsation.

La démarcation entre les cultures se situe souvent dans tout ce qui a trait à la vie sociale, familiale et religieuse des nouveaux arrivants. Ils ont souvent des exigences disciplinaires et coutumières qui forcent une certaine distanciation et incompréhension bien naturelles de leur part face à notre culture qui est très éloignée du modèle de la famille telle que le concevait nos propres parents.

Au Québec, nous sommes aujourd’hui loin de la famille traditionnelle qui nous a protégés de l’assimilation après la conquête des Anglais. Nous observons une multitude de conceptions de la famille dans lesquelles les enfants occupent une place secondaire.

On comprend dès lors le dilemme des immigrants qui tiennent aux valeurs de la famille traditionnelle dans une société d’accueil déstabilisée et à la recherche d’une nouvelle identité.



La société contemporaine qui est la nôtre a créé une multitude d’institutions afin de se substituer à l’un ou l’autre des parents, ou aux deux. Les psychologues et leurs approches thérapeutiques tentent de suppléer à un encadrement familial sécurisant. Sur le plan affectif, les garderies, les maternelles, les écoles s’efforcent à remplacer les parents débordés et absents, qui devraient se partager normalement une présence et une responsabilité quotidienne auprès de l’enfant.

Les repas pris en famille ont été abandonnés pour des mets congelés avalés à la sauvette et l’enfant, souvent unique, privé de la présence de frères et sœurs, se tourne vers la TV et les jeux vidéos. Les jeunes grandissent souvent dans un monde irréel, ne sachant plus ce que c’est que l’amour d’un père et d’une mère.

Oserions-nous demander aux immigrants de s’intégrer à ce style de vie familiale ainsi qu’à renoncer à ce qui nourrit le plus profondément leur culture, à savoir une famille solidaire dont les membres sont proches les uns des autres et dans laquelle les enfants occupent une place centrale ?

Par ailleurs, nous pourrions tracer ici un tableau parallèle de la place des religions dans les deux univers respectifs. Nous y reviendrons peut-être un jour.

En attendant, le choc des cultures en présence mérite une réflexion approfondie de notre part. Au nom d’une fausse conception de la liberté, nous nous sommes attiré les pires misères : toxicomanies, alcoolisme, jeux de hasard, sexualité irresponsable, etc.

Comment protéger les enfants contre nos tendances à vouloir assouvir le moindre de nos désirs au détriment d’une vie en société dans laquelle le bonheur puise à d’autres sources que la consommation? Nous sommes les premiers modèles sur qui peuvent compter nos enfants.

Face aux immigrants qui ont souvent une autre conception du bonheur et d’autres choix éthiques et spirituels, nous commençons à entrevoir une nouvelle culture.

À cause de notre négligence et de nos infidélités, nous craignons de plus en plus pour notre survie et nous devons réapprendre à vivre culturellement.

Depuis une vingtaine d’années, des hommes et des femmes essaient d’inventer un nouvel âge en cherchant des manières de guérir de la surconsommation. Basé sur des valeurs d’équité, de bonheur, de santé et de partage, ce nouvel âge, plutôt que de rechercher des solutions toujours plus démoniaques à nos problèmes, invente des alternatives écologiques, humanistes et spirituelles afin de nous soulager des maux qui infligent notre humanité vieillissante. Ce nouvel âge est vivant et nous nous transformons en y travaillant.

De la sorte, ne nous approcherions-nous pas de beaucoup d’immigrants ? Le dialogue n’en serait-il pas grandement facilité ? Ensemble, nous pourrions devenir les bâtisseurs d’un nouveau pays,mais surtout d’une nouvelle culture plus respectable des vrais enjeux de l’humanité.

Cet article est paru dans l'édition Été 2007 du Jumelé.

jeudi 1 novembre 2007

Isabelle GAVARD


Isabelle Gavard est Conseillère en emploi au CARI St-Laurent. Formée en communication interculturelle, elle participe à différents comités auprès du Comité des Organsimes Sociaux de Saint-Laurent et de la Table de concertation des organismes au seervice des personnes réfugiées et immigrantes.

Contributions au Jumelé:



Sensibilisation en milieu de travail

Codes et valeurs culturels repectifs
Médiation pour le maintien en emploi

Christian Altamirano


Formateur en relations interculturelles, Christian Altamirano oeuvre également comme consultant et enseignant sur un projet de coopération internationale de l'Université du Québec en Outaouais.

Contribution au Jumelé:


Quelques difficiles défis
Débats sur l'intégration et l'accommodation >>> LIRE



Gabriel Gosselin


Eneignant auprès des jeunes en difficulté, Gabriel Gosselin s'intéresse à la spiritualité hindoue et amérindienne.

Contribution au Jumelé:


Quand les cultures s'entrechoquent
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