samedi 11 août 2007

Jacques Godbout :
Entre résistance culturelle et nostalgie de mauvais goût


Ahmed KOUAOU

Québécois et Québécoises, sortez vos mouchoirs ! Le Québec est dans l’antichambre de la mort, la pierre tombale est commandée, et vous pouvez y lire : Ici repose le Québec décédé en 2076 des suites des assauts de tribus d’immigrants et de l’indifférence des cégépiens. La messe est dite… par un certain Jacques Godbout.

Dans une entrevue accordée à L’Actualité, l’écrivain Jacques Godbout a revêtu les habits d’un apocalyptique « déclinologue » pour prédire la fin prochaine de la société québécoise, et fonde sa prophétie sur une certaine nonchalance de la génération des cégépiens, mais aussi sur les flux migratoires que connaît le Québec et dans lesquels il y voit autant de menaces.

Petit extrait des élucubrations godboutiennes : « (…) Ce sont des tribus qui immigrent, avec leurs costumes, leurs coutumes, leur religion et leur télévision. On sous-estime le fait que la soucoupe branchée sur Al-Jazira ou d'autres chaînes étrangères empêche ces gens de regarder la télévision indigène, qui, elle, ne les intéresse absolument pas. Donc, ils ne s'intègrent même pas le soir en rentrant à la maison. Ils sont entre eux. Sous prétexte de permettre aux individus plus de liberté, on se trouve à détruire une cohésion sociale. La tribu canadienne-française est en mauvaise posture: elle n'a plus d'enfants! »

On fait la révolution comme on veut et avec les moyens qu'on juge appropriés. Godbout et ses comparses ont eu les leurs, libre à Boisclair et ses acolytes d'imaginer un pays avec du blanc, du bleu... et du vert.


Aux jeunes québécois, Godbout reproche une certaine légèreté, mais surtout leur rupture avec les idéaux des artisans de la Révolution tranquille. Lisons-le à ce propos : «(…) Ils n'ont plus les références que nous avions. Nous allions chercher nos références ailleurs que dans notre société. Moi, par exemple, je n'allais pas croire un mot de ce que le clergé m'affirmait. Il était au pouvoir et voulait que les choses restent comme elles étaient. Aujourd'hui, les références des jeunes, quelles sont-elles ? Ils ont des gourous dans le milieu de l'environnement - Pierre Dansereau et Hubert Reeves -, mais cela me fait penser au monde chrétien que j'ai connu. C'est tout juste s'ils ne font pas des prières, ils sont toujours pour la vertu. »

Même s’il a tenté de s’expliquer dans une contribution édulcorée parue dans Le Devoir du 23-24 septembre, il n’en demeure pas moins que l’homme présente les signes d’un malaise évident face à une société qui évolue. Expression d’une nostalgie amère, le propos de Godbout est celui d’un militant contrarié par un rêve inachevé. Sa frustration peut être légitime, mais son désir de voir la jeunesse s’inscrire dans la continuité est exagéré, car Godbout ne semble pas s’accommoder de la différence.

Il est tout de même étonnant de reprocher aux jeunes d’aujourd’hui de se préoccuper autant de l’environnement, alors que le monde court à sa perte écologique. Godbout ignore-t-il que l’environnement est devenu, à juste titre, le cheval de bataille de la nouvelle génération indépendantiste ? On fait la révolution comme on veut et avec les moyens qu’on juge appropriés. Godbout et ses comparses ont eu les leurs, libre à Boisclair et ses acolytes d’imaginer un pays avec du blanc, du bleu… et du vert. Libre aussi à d’autres jeunes de transcender le débat indépendantiste, de caresser d’autres rêves et de boire les paroles d’une autre espèce de «gourous». Godbout a peut-être des raisons de s’inquiéter du Québec de demain, mais sa myopie entraîne sa prophétie dans le terrible paradoxe de Cassandre.

Entre intégration et assimilation


C’est sans doute au sujet de l’immigration que l’auteur de Le Temps des Galarneau a laissé libre court à son délire. Là encore, il se trompe lamentablement de colère. Il verse d’abord dans une affligeante catégorisation, en réduisant les immigrants à des tribus réfractaires à toute intégration. Godbout fait un amalgame évident entre intégration et assimilation. Dans un Québec idéal, suggère-t-il à demi-mot, l’immigrant devrait se défaire de sa langue maternelle, de sa culture originelle, et tutti quanti. Bonjour l’homogénéisation ! Il ne reste qu’à inventer cette merveilleuse machine dans laquelle passeraient les immigrants, à leur arrivée l’aéroport, pour devenir des Québécois exemplaires, entendre par là indépendantistes. Certes, on ne peut lui en vouloir au vieux militant de faire de la résistance culturelle, mais il y a un pas vers le ridicule qu’il a franchi allègrement.

Un Québec où on peut alterner, sans fausse note aucune, Mes Aïeux et Matoub Lounes ou Oum Kaltoum.


L’ancien journaliste s’est-il interrogé, une seule fois, sur la place des immigrants dans la télévision indigène ? A-t-il essayé de compter les yeux bridées et les têtes basanés ou noires dans cette télévision blanche aux yeux bleus ? Il faut être aveugle et sourd pour ne pas savoir que les immigrants sont sous représentés dans les médias francophones. Et « les anglos » font meilleure figure en la matière ! De plus, l’évocation de l’immigration dans les médias est souvent teintée d’une connotation péjorative renvoyant aux gangs de rue, à la pauvreté, à l’assistance sociale, etc. Il ne faut pas s’étonner dès lors que certains néo-québécois se tournent vers d’autres canaux d’information. Par choix ou par simple nostalgie et souci d’information de ce qui se passe dans leurs pays d’origine.

« Ils (les immigrants) sont entre eux », claironne encore Godbout. Les Québécois aussi, lui rétorqueront certains. S’est-il informé, un jour, sur la difficulté des immigrants à s’intégrer dans la société québécoise ? N’en déplaise à Jean Coutu, dans la grande pharmacie du Québec, il est difficile de trouver des amis. Décrocher un emploi relève d’un tout autre exploit, autrement plus ardu. Le repli identitaire n’est pas l’apanage des immigrants; un rejet nourrit un autre. Visiblement, au Canada, on excelle dans la reproduction des solitudes.

Mais le plus désolant, c’est que Godbout ne voit que des menaces dans ce nouveau métissage. Il ignore, ou feint-il de le faire, que des bataillons d’immigrants participent aux chantiers du Québec, épousent volontiers les valeurs de ce merveilleux pays, bref font preuve d’une parfaite intégration. Il ignore aussi tout l’apport culturel et économique des immigrants, se recroquevillant dans un protectionnisme culturel désuet.

Godbout ravive de manière inappropriée des séquelles historiques en associant l’immigration à un facteur de désagrégation de la société québécoise. Le Québec survivra à ses prédictions, mais ce sera un Québec pluriel aux accents multiples et aux teints divers. En somme, un Québec qui sera à l’image d’un monde de plus en plus métissé et globalisé. Un Québec où on peut alterner, sans fausse note aucune, Mes Aïeux et Matoub Lounes ou Oum Kaltoum, et où retentit un joual d’autant plus charmant qu’il émane de ribambelles d’enfants aux yeux bridées.


Cet article est paru dans l'édition Automne 2006 du Jumelé.
Crédit photo: Martin Bouffard.

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