jeudi 9 août 2007

La dimension économique donne le ton
Il n’y a pas que le choc des valeurs….

Jean-Claude ICART

En pleine tempête médiatique sur les accommodements raisonnables, les données préliminaires du recensement de 2006 nous apprennent que le Canada a eu la plus forte croissance démographique des pays du G8 (+5,4%) pour la période 2001-2006, malgré un taux de fécondité très faible. Cette croissance démographique du Canada repose donc essentiellement, pour les deux tiers en fait, sur le solde migratoire international.

Pour la même période, la croissance démographique du Québec a été de 4,3% et cette hausse vient aussi principalement de l’immigration, également pour les deux tiers environ, même si le bilan migratoire interprovincial s’est nettement amélioré et qu’on a observé une hausse de la natalité en 2006. Le taux de natalité actuel de 1,6% est encore nettement au dessous du taux de renouvellement naturel de la population, soit 2.1%.

Deux conclusions s’imposent d’elles-mêmes, si la tendance se maintient : d’ici le milieu du siècle, ou même avant, l’immigration pourrait devenir la seule source de croissance de la population canadienne et d’autre part le Québec pourrait continuer à perdre son poids démographique au sein du Canada, étant passé de 28,9% de la population totale en 1966, à 23,9% en 2007.

Un autre élément devrait cependant retenir aussi notre attention. Selon une étude récente de Statistique Canada , les immigrants installés depuis les années 2000 ont plus de difficultés à améliorer leur sort au niveau économique que les immigrants installés avant cette période. C’est une observation importante car, depuis 1993, le Canada a adopté une grille d'immigration plus sélective au niveau des critères professionnels et accueille donc davantage d’immigrants diplômés. Cette étude vient en confirmer d’autres réalisées au cours des années précédentes et qui arrivaient à des résultats similaires : les taux de faible revenu ont augmenté pour chacune des cohortes d’immigrants qui se sont succédées. Ils ont même presque doublé entre 1980 et 1995. L’écart entre ce taux à l’arrivée et celui enregistré pour les personnes nées au Canada s’accentue entre 1980 et 2000.

...mettre l'accent exclusivement sur la dimension culturelle, c'est se condamner à ne trouver que le fanatisme et la haine comme explications à de réelles difficultés d'adaptation...



On observe donc un allongement de la période de « rattrapage », c'est-à-dire le temps nécessaire à un nouvel arrivant de rejoindre les niveaux de rémunération de ses homologues dans la société d’accueil. Différents facteurs peuvent expliquer ce phénomène :

1- la sélection basée sur la forte qualification des candidats à l’immigration a peut être montré ses limites. L’hypothèse de base était que les plus qualifiés auraient plus de facilité à s’adapter aux fluctuations de l’économie et seraient donc plus à même de se recycler pour répondre aux besoins sans cesse en évolution de la nouvelle économie basée sur le savoir. Outre les obstacles que représentent la reconnaissance des équivalences et de l’expérience acquise à l’étranger et l’admission aux ordres professionnels, il n’est pas évident que des personnes très spécialisées soient plus flexibles en termes d’adaptation aux besoins du marché du travail.
2- On pourrait aussi s’interroger sur l’évolution du marché du travail au Canada durant ces vingt-cinq dernières années, ce qui dépasserait de trop le cadre de cet article.
3- Un autre facteur à considérer est l’origine différente des immigrants des dernières décennies. Ils viennent d’Asie, d’Afrique ou d’Europe de l’Est, plutôt que des États-Unis ou d’Europe (de l’Ouest, du Nord ou du Sud) comme c’était le cas jusqu’au milieu des années 1970.

Tout au cours de l’histoire, des nouveaux arrivants ont souvent été perçus comme « inassimilables » et ont souvent été victimes de préjugés et de discrimination. Puis d’autres vagues arrivaient et ceux qui les avaient précédés étaient mieux perçus et présentés comme des exemples d’intégration réussie. Cependant, les immigrants des dernières décennies font de plus en plus partie de ceux-là que l’on nomme les « minorités visibles », les « groupes racisés ». Ce qui, pour leurs prédécesseurs, a été une étape transitoire pourrait dans leur cas, se cristalliser et devenir un état permanent. Ce n’est bien sûr pas une fatalité, ce n’est pas inévitable. Mais c’est une possibilité, un futur éventuel, un sort que les mesures prises aujourd’hui peuvent conjurer.

L’adaptation à une nouvelle société est un processus multidimensionnel, qui se développe sur plusieurs niveaux (économique, social, culturel). Le rythme est différent selon les niveaux mais la dimension économique donne généralement le ton, conditionne les autres. Oublier ce fait et mettre l’accent exclusivement sur la dimension culturelle, c’est se condamner à ne trouver que le fanatisme et la haine comme explications à de réelles difficultés d’adaptation et ignorer les véritables obstacles à l’intégration qui entretiennent un terreau fertile au repli.

Différentes mesures positives ont été mises de l’avant récemment comme la révision de la grille de sélection du Québec, des ententes avec des ordres professionnels, la relance des programmes d’accès à l’égalité en emploi ou le projet de politique de lutte contre le racisme et la discrimination. Des structures se penchent aussi sur les difficultés des jeunes des minorités visibles dans le milieu scolaire. De plus, les deux principaux partis politiques ont pris des engagements fermes durant la campagne électorale quant à l’amélioration des conditions d’établissement et d’intégration des nouveaux arrivants.

Le débat sur les accommodements raisonnables, tout important qu’il puisse être, ne devrait pas rejeter dans l’ombre ces dimensions tout aussi fondamentales du mieux vivre ensemble au quotidien.

Cet article est paru dans l'édition Printemps 2007 du Jumelé.


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