jeudi 9 août 2007

Les accommodements raisonnables
Un concept juridique vieux de plus de 25 ans

France BOUCHER



Quand elle devient membre de l'Église adventiste du 7e jour, Mme O'Malley apprend et en informera son employeur par la suite, qu'elle ne peut plus travailler le samedi. Pourtant, le contrat de travail qui la lie à la compagnie Simpsons-Sears et qu'elle respecte depuis sept ans prévoit ce jour ouvré. Après lui avoir suggéré de démissionner, son employeur lui proposera plus tard un poste à temps partiel ce que Madame acceptera. Mais voyant ainsi ses revenus et avantages sociaux diminuer de moitié elle déposera, devant la Commission ontarienne des droits de la personne, une plainte se prétendant victime de discrimination relative à une condition d'emploi et fondée sur ses croyances.

D'appel en appel on se retrouvera devant la Cour suprême qui tranchera ainsi: Madame doit prouver qu'il y a discrimination relative à un droit prévu aux Chartes des droits et libertés et si elle réussit, c'est sur l'employeur que reposera le fardeau de prouver qu'il a pris des mesures d'accommodements raisonnables. C'est ainsi que ce concept d'accommodement raisonnable, d'abord élaboré par les tribunaux américains au début des années soixante-dix puis repris par les tribunaux canadiens des droits de la personne, fait son entrée à la Cour suprême du Canada en 1985.
Dans cette affaire O'Malley, la Cour déterminera qu'il peut exister deux types de discrimination:
- La discrimination directe, par exemple, nous n'employons pas de femmes, pas de catholiques ou pas de Noirs...
- La discrimination par suite d'un effet préjudiciable sur une personne ou un groupe de personnes : les consignes bien que s'appliquant à tous ont un effet négatif sur une catégorie de personnes. Dans cet exemple : tout le monde doit travailler le samedi. Les mesures s'appliquant à tous, il n'y aurait pas de discrimination, mais puisqu'il y a un effet préjudiciable sur une personne qui par le fait même ne peut respecter sa religion, la Cour estime qu'il y a discrimination.

À chaque fois qu'on rapporte une décision d'accommodement raisonnable en lien avec un handicap on parle d'avancée et d'ouverture d'esprit de la société, mais quand il s'agit d'accommodement en lien avec la religion, le discours est tout autre.


Madame prouvera, à la satisfaction de la Cour, qu'elle subit ce deuxième type de discrimination, ce qui opèrera un transfert du fardeau de preuve sur les épaules de l'employeur. Celui-ci devra donc démontrer qu'il a tenté raisonnablement de faire en sorte que les besoins religieux de son employée soient respectés à moins que cela ne lui cause une contrainte excessive dans la gestion de ses affaires. La Cour entend par contrainte excessive, des mesures qui entraveraient indûment l'exploitation de l'entreprise ou qui imposeraient des frais excessifs.

À quoi sert une décision de la Cour suprême?


Elle sert à fixer des balises, à établir un cadre de référence et à imposer des règles que devront respecter les cours supérieures, les cours d'appel, les tribunaux et commissions des droits de la personne de tout le pays dans le cadre de toutes leurs décisions.
Dans une quinzaine de jugements rendus depuis 1985, la Cour suprême s'est employée à expliquer, raffiner, apporter un nouvel éclairage, dégager des principes sur cette notion d'accommodement raisonnable. À quoi s'applique-t-elle? Quelles en sont les limites? En quoi consiste une contrainte excessive? Encore tout récemment dans l'affaire Conseil des Canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada Inc du 23 mars 2007, la Cour s'est une nouvelle fois penchée sur cette notion de contrainte excessive.

Il est pertinent de rappeler que la Charte canadienne interdit toute discrimination basée sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge, les déficiences mentale ou physique et que la Charte québécoise interdit toute discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap et que l'obligation d'accommodement raisonnable s'applique à toutes ces rubriques.

Il est également intéressant de savoir que, depuis 1990, sur la soixantaine de décisions du Tribunal québécois des droits de la personne traitant d'accommodement raisonnable, environ le tiers sont en lien avec une discrimination basée sur le handicap.
Il peut être troublant de constater qu'à chaque fois qu'on rapporte une décision d'accommodement raisonnable en lien avec un handicap on parle d'avancée et d'ouverture d'esprit de la société, mais quand il s'agit d'accommodement en lien avec la religion, le discours est tout autre.

Peut-être pouvons-nous concéder que ce concept d'accommodement raisonnable est complexe mais qu'il n'est certainement pas compliqué à comprendre et qu'à défaut pour certains de s'efforcer d'en saisir le sens et la portée il peut être tentant de le compliquer davantage, de le travestir, de l'utiliser à tort, de s'en moquer ou de le mépriser. A qui cela sert-il?
Cet article est paru dans l'édition Printemps 2007 du Jumelé.


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