lundi 13 août 2007

Les deuils à faire de part et d’autre
La somme des bonnes volontés


Jean-Luc D’ETCHÉVERRY

Il existe en ce monde une mauvaise habitude entretenue régulièrement par les médias qui est de magnifier certaines nouvelles insolites pour leur ajouter une couleur alarmante, ce qui fait vendre de la copie. De pair avec cette mauvaise habitude vient le goût pour "l’homme de la rue" de jouer au gérant d’estrade. Celui ou celle (l’homme de la rue étant asexué comme on sait) que la caméra surprend avec une question assassine, sans mise en contexte et qui ne dispose que de cinq secondes de gloire pour régler le sort du monde, y va de bon cœur de son avis éclairé alors que 97,8% du temps il devrait répondre, humblement, "je ne sais pas"ou "mon opinion sur ce sujet n’est pas encore arrêtée" ou encore "je dois connaître l’autre version des faits avant de prendre parti".

... informations qui résonnent plus qu'elles ne raisonnent.


Si de plus cette mini- nouvelle, ce fait divers, cet incident isolé relate un événement mettant en présence un groupe de citoyens minoritaires et une réaction outrée de la part de quelques citoyens de la majorité qui déchirent leur robe au petit écran…voilà un cadeau du ciel pour nos médias sensationnalistes. Ces derniers mois ont été à ce titre généreux d’informations qui résonnent plus qu’elle ne raisonnent, que l’on a par la suite doublées d’analyses, triplées de sondages et recouvertes des avis de doctes experts qui ont déclaré du haut de leur sagesse que la population majoritaire d’un territoire se méfie de la venue de nombreux étrangers dans un court laps de temps…

Et pourtant qui doutait, qui aura été surpris d’apprendre que les québécois anciens et nouveaux se regardent du coin de l’œil et se critiquent allégrement sur leurs coutumes, leurs usages et la valeur de leurs cultures réciproques. Qu’y a-t-il de gênant là-dedans et quelle hypocrisie que de chanter toujours en chœur "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil", alors qu’il est normal et sain qu’un citoyen porté sur la religion se formalise de voir à tout bout de champ des fillettes déguisées en poupées érotiques côtoyer ses enfants à l’école et qu’un autre citoyen s’offusque de voir des enfants porter des signes religieux distinctifs dans la sphère publique qu’il voudrait totalement aseptisée.

On ne règle pas des situations conflictuelles en les poussant sous le tapis ou en les ignorant, ce n’est pas là un accommodement raisonnable pour une société qui n’en est plus à choisir entre évoluer ou faire du surplace comme cela était encore possible dans les années cinquante. Nous sommes depuis longtemps engagés dans un processus qui a fait évoluer le Québec de nos grands-pères en un pays moins homogène et ceux et celles qui veulent revenir en arrière, faire douze enfants, vivre chichement sur une terre de colonisation sous le regard omniprésent de leur cher curé, grand bien leur fasse. Ce n’est plus là le choix de la majorité et je ne crois pas me tromper en prêtant des sentiments semblables aux Québécois plus récents.

Autre deuil à faire, celui de penser que les nouveaux et les vieux Québécois, à terme, seront tous pareils.


La contrepartie de cette volonté de vivre dans la réalité du Québec d’aujourd’hui implique que chacun doit prendre conscience de ce qu’il doit sacrifier et acquérir pour que la communauté qui construit le pays ne soit pas constituée d’îlots détachés à peine retenus ensemble par la carte d’assurance-maladie et celle d’assurance sociale, soutenus par une fiscalité redistributive…. Il y a des deuils à faire de part et d’autre pour y arriver et c’est là que les bonnes volontés doivent se manifester.

Parmi les deuils à consentir, le plus essentiel est de cesser de croire que sa culture d’origine est supérieure. Pour y arriver il faut fréquenter "l’autre" et sa culture sans a priori, sur la rue, au spectacle, partout où on le croise. Ne pas détourner le regard pour éviter sa différence mais se rendre compte que nous aussi sommes différents à ses yeux et que chacun doit s’habituer à une présence étrangère. Autre deuil à faire, celui de penser que les nouveaux et les vieux québécois, à terme seront tous pareils. Que les noirs deviendront blancs, que les arabes et les juifs mangeront du bacon avec leurs œufs miroirs ou que les sud-américains remplaceront le tango par la gigue et la danse en ligne. La (les) différence(s) sont là pour rester à nous, cherchons comment en profiter.

Récemment le gouvernement a décidé de passer une patate chaude à de savants commissaires qui devront déterminer où commence et où finit la zone des accommodements pour qu’ils soient reconnus comme raisonnables. Beau sujet de réflexion, mais pendant ce temps on fait quoi tout le monde ? On arrête ou on continue de chercher à vivre confortablement ensemble, on tente ou on ne tente plus de se comprendre ? Est-ce qu’on attend le guide du parfait négociateur d’accommodements avant de s’ouvrir aux autres ?

Si nous choisissons l’attente nous faisons la preuve que nous ne sommes pas de bonne volonté, je dirais même que nous affirmons que nous n’avons aucunement la volonté de nous rapprocher sans y être légalement obligés. Nous optons dans ce cas pour le conflit permanent, la souque à la corde comme moyen de développer notre société. Mon collectif contre ton collectif.

Donc faire preuve de bonne volonté i.e. d’ouverture, de vision, de considération et de compréhension mutuelles et s’associer aux projets communs de la société québécoise plurielle est la seule méthode à suivre pour améliorer les relations entre tous. Au final, à faire ainsi, la majorité et les minorités s’influenceront au quotidien et verront leurs identités personnelles enrichies un peu de celles du voisin.
Cet article est paru dans l'édition Printemps 2007 du Jumelé.



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