vendredi 10 août 2007

Quelques difficiles défis
Débats sur l’intégration et l’accommodation

Christian ALTAMIRANO












Les débats sur les accommodements religieux et culturels qui ont occupés l’avant scène médiatique ces derniers temps nous ont permis d’observer bien des dérapages démagogiques, des incompréhensions et des malentendus. L’effet des médias, particulièrement de Radio-Canada, avec la diffusion de près de quinze reportages sur le sujet en moins de deux semaines, n’est évidemment pas négligeable. Les inquiétudes de la population ont évidemment été exacerbées par cette couverture médiatique qui comparaît des pommes avec des oranges en se référant aux expériences étrangères avec un prisme tout à fait d’ici : faisant preuve du plus primaire des ethnocentrismes, notre concept d’accommodement a servi a nommer toutes les formes de traitement de la différence religieuse de par le monde, même celles dictées par les politiques les plus jacobines!
Quand on se regarde on se désole, quand on se compare on se console … Mais en ce cas ce fut le contraire. Si dans un pays a majorité musulmane on peut défendre le port du hijab, pourquoi chez-nous on s’en accommode? Comment se fait-il que d’autres plus expérimentés que nous font de la laïcité un principe inébranlable? Se demandait le bon public dans les pages d’opinion et autres forums … Effet provoqué ou retour du refoulé? Un peu des deux.
En tout état de cause, ce débat a eu comme effet de nous rappeler quelques réalités et défis interculturels urgents.

Comme tout ce qui est politique, les principes qui régissent l’immigration et d’intégration ont intérêt à être compris et partagés par une large majorité de la population. Or, à en juger par la facilité à récupérer les peurs et les intolérances à l’égard des nouveaux arrivants à des fins politiques, nous sommes loin du compte. Il est légitime de se demander si les impératifs démographiques et économiques qui déterminent les politiques en la matière sont suffisamment connus de la population. Que dire du contrat dit moral qui exprime les attentes de la société d’accueil vis-à-vis les nouveaux arrivants … fort utile à la compréhension des accommodements réellement raisonnables.
En lieu et place, la conviction d’être une des sociétés des plus ouvertes et des plus accueillantes du monde a été servie au bon peuple comme un axiome incontestable.
Un examen de quelques indicateurs d’intégration suffiraient pourtant à nous regarder plus objectivement : une fonction publique et des médias d’une homogénéité indigne de la diversité ethno-culturelle du Québec d’aujourd’hui, des délais dans l’intégration des professionnels immigrés au marché du travail plus longue que dans le reste du Canada, ou l’absence d’une politique anti-raciste pour n’en nommer que quelques uns…
En bref, nous avons des politiques qui invitent la population à l’intégration et la bonne entente interculturelle depuis plus de quinze ans … sans qu’il y ait de réels efforts pour les diffuser. Nous avons des intentions précises, chiffrées, de diversification de nos institutions … sans se soucier de les atteindre, et nous préférons nous contenter de déclarations grandiloquentes en lieu et place d’une politique claire contre le phénomène du racisme.

Le défi pour nous en est un de formation et de diffusion des apports et des exigences de l’immigration, ainsi que des principes démocratiques et pluralistes qui doivent guider l’intégration des différences culturelles et religieuses. Et puis il faut continuer à revendiquer une société ouverte aux apports des nouveaux arrivants dans tous les domaines, principalement dans les bastions de l’homogénéité culturelle.
L’autre constat de ce faux débat concerne le clivage entre les régions et la métropole, qui donne lieu à un remake américain et moderne du différend entre les cosmopolites et les gens du pays. Montréal, métropole de l’élite gâtée et centralisatrice, lieu de tous les glissements identitaires serait aujourd’hui coupable de laxisme face aux immigrants gâtés et revendicateurs. Les peurs et ressentiments, les frustrations face aux effets pervers de la globalisation économique qui frappent durement les régions du Québec trouvent en ce mauvais scénario les boucs émissaires idéaux pour politiciens en manque de contenu : des gens venus d’ailleurs aux mœurs étranges et dangereuses …

La société québécoise francophone a pris du temps à se considérer une société d’accueil pour les immigrants, disaient les auteurs de la politique d’immigration et d’intégration de 1990. Le discours actuel et ses silences nous rappellent qu’en ce domaine les acquis seront toujours fragiles, et que le défi d’équité et d’harmonie interculturelle sera toujours présent. Nous devons impérativement continuer nos efforts pour faire connaître les difficiles réalités des immigrants, leurs apports à la société d’accueil et la nécessité de la société québécoise à les accueillir.
En ce domaine, nous avons devant nous un grand écueil : les impératifs sociétaux et démographiques du Québec et ceux de l’équité sociale à l’égard des nouveaux arrivants sont des réalités bien abstraites pour celui qui voit ses confortables certitudes comme universelles, ou pour celui qui cherche un responsable à sa misère nouvelle, conséquence d’un monde globalisé par et pour les grands capitaux.
Seul le contact humain, l’expérience de la rencontre, la sensibilisation appuyée sur le récit et les situations concrètes peuvent convaincre nos concitoyens égarés dans la xénophobie que chacun et nous tous comme société, nous gagnons à nous ouvrir aux réalités culturelles les plus diverses sans pour autant perdre notre identité.


Légende Photo: Jeune famille originaire du Maghreb, traversant la Place Gérald-Godin à Montréal, dimanche 25 mars 2007, en cette veille d'élections.
Sept heures et demie du matin métro de Montréal
c'est plein d'immigrants
ça se lève de bonne heure ce monde-là
le vieux coeur de la ville
battrait-il donc encore
grâce à eux (...)
Tiré du recueil Sarzènes, 1983, Gérald Godin, journaliste, poète et politicien.


Cet article est paru dans l'édition Printemps 2007 du Jumelé.


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