mardi 7 août 2007

Senaya: la conjoncture culturelle

Placide YVES



Née en Afrique à Dakar, Senaya est fille d’un homme d’affaires sénégalais, un peu troubadour qui grattait sa guitare et d’une mère guadeloupéenne chanteuse et musicienne. Tout en elle est démesure! Chanteuse, compositrice et interprète, elle parle et chante en sept langues et a déjà parcouru la moitié de la terre et y a résidé. Une humaniste engagée; sa cause, c’est une justice humaine pour toutes et tous. Senaya se dit habitante du Monde et ne croit pas qu’un jour des pays d’Afrique se réunifieront en une puissance mondiale comme les Etats-Unis, « et tu sais le pourquoi »… me dit-elle. Toujours en interaction avec les autres cultures, elle chante le Zouk, le Pop, le Soul, le Funk, le Bossa Nova, le Rap et le Jazz. Comme vous voyez, elle est dans la démesure de tout. De Dakar à Montréal, elle a parcouru du chemin : a fait ses études en Afrique et à la Martinique, puis Europe. Elle est décrite par sa gérante Annie, sa sœur « moitié femme, moitié lionne, un vent de liberté » écrivant « des textes enivrants et un soûl envoûtant ! Née sous le soleil d’Afrique, bercée et grandie par le vent des Antilles». L’engouement pour son style et son énergie se fait remarquer.
Désignée interprète de l’année au Festival international de la chanson de Granby en 2003, Senaya est membre du groupe multiracial Sunroots. Elle partage la scène avec l'artiste bien connue Muna Mingole ainsi qu’avec des Cubains, des Ivoiriens, des Camerounais et des Québécois. Elle a déjà participé aux festivals Nuits d’Afrique, Vues d’Afrique, la Carifiesta à Montréal et à Toronto, et a performé sur les scènes les plus connues. Il y a un an, Senaya a sorti son premier album « Garder la tête haute », accompagnée de ses fidèles musiciens, le claviériste Sonny Black, et le guitariste Wesley Toussaint. Cet album est nominé dans la catégorie Album francophone de l’année à la remise des prix Juno 2006. Il contient treize chansons, chacune avec une couleur différente. C’est avec le rêve des pères de la négritude, Léopold Senghor et Aimé Césaire, que Senaya nous dit de garder la tête haute!


Y.P. : Senaya, qu’est-ce qui t’a amenée à chanter pour la première fois?


Senaya : Ma mère je crois! Ma mère est une vraie mélomane. À la maison il y avait toujours de la musique. Ma mère jouait de la percussion, chantait et mon père fredonnait. J’ai toujours vu mes parents dans le salon en train de danser, soit la rumba, la bachata, la salsa, du tango, du boléro, autant de la musique française qu’africaine. Alors veut, veut pas, il y a une certaine influence. Je ne veux pas vous dire, contrairement à d’autres artistes, que vers l’âge de dix ans, je savais que je serai chanteuse, non! C’est venu peu tard. J’ai chanté à l’université, à la Martinique, à la Guadeloupe, en France et toujours pour le plaisir. Mon métier, je l’ai véritablement commencé et appris en 1996 quand j’ai débarqué ici. Je ne sais pas par quel miracle un ami m’a fait savoir qu’on cherchait une choriste pour un groupe de musiciens d’origine camerounaise. On m’a demandé si cela m’intéresserait, alors c’est comme ça que ça a commencé. Après, l’artiste est parti et les musiciens se sont questionnés : pourquoi ne pas former un groupe, car on aimait être ensemble ! C’est là que tout a commencé. Et dans ce groupe, on retrouve toutes sortes de nationalités, Allemands, Camerounais, Québécois, Guadeloupéens, Sénégalais et Senaya.

Y.P. : Tu as beaucoup voyagé, quelles traces en gardes-tu ?


Senaya : Ces voyages ont permis, le temps que ça a duré, en France (Lyon, Paris) ou à la Guadeloupe, au Sénégal, à la Martinique, au Venezuela, à Porto-Rico…d’avoir des amitiés sincères durables et réelles, qui sont toujours là, des amis (es) d’enfance et de différentes origines. C’est sûr que ces voyages ont laissé aussi des traces dans la femme que je suis devenue, car mes chansons et mes réflexions découlent de mes expériences.


Y.P. : Ton album intitulé « Garder la tête haute » livre un message…


Senaya : Le message de l’album, c’est le message de la vie. On nous fait croire que la vie est facile, mais fondamentalement la vie est difficile, la société même est difficile à comprendre, mais il ne faut pas perdre espoir. Je chante ma vie en parlant de mes expériences, en espérant aider d’autres personnes qui écouteront mes chansons.
Quand j’ai décidé de venir au Canada, sans le connaître, certains m’ont demandé si je rêvais. Pour le festival de Granby, certains m’ont fortement déconseillée et pourtant j’ai finalement gagné.
Il faut garder la tête haute quelque que soit l’obstacle que tu rencontres sur ton chemin, continuer à lutter, croire en la vie et vivre pleinement, sans abandonner les rêves quelque soit ton chemin, car sur ta route tu trouveras toujours des gens pour te décourager.

Y.P. : Te considères-tu comme une femme engagée?


Senaya : Je suis engagée certainement, mais mon engagement se trouve au niveau humain. Je suis une humaniste avant tout. Pour moi, le niveau de couleur n’a pas son importance, qu’il soit noir, jaune, blanc ou autre, je veux une justice équitable pour tous. La vie sur cette Terre appartient à tout le monde et cela à égalité. On ne peut pas être tous artiste ou plombier, médecin ou chef d’état. On doit avoir chacun sa place dans l’égalité et le respect. Ce qui se passe sur la Terre me concerne, ce qui arrive à tous les humains me concerne et m’afflige.

Y.P. : Penses-tu que les médias ou d’autres personnes et institutions véhiculent une image négative des Noirs ?


Dans le monde, il y a toutes sortes d’injustices et le racisme en est une. C’est avant tout une cause humaine, à mon avis, pas uniquement de race, car ce sont des êtres humains qui souffrent. Là où il y a de la souffrance et de l’injustice, je suis là.
Il faut se battre, il faut s’aider soi-même.
Ici, au Québec, je trouve que la communauté noire ne se supporte pas assez. Pour remédier à tout ce que les médias rapportent de négatif sur nous, il faut former une communauté, il faut se supporter.
Regarde par exemple dans mon cas, sincèrement, je crois que la communauté noire devrait me supporter. Dans certains de mes spectacles, il y en a très peu qui viennent me supporter, et ils me disent souvent qu’ils aiment ce que je fais. Ça commence par là, supporter les gens qui vous représentent. Pour se faire respecter, il faut commencer par nous. Il faut arrêter de dire les autres ou l’autre, il faut dire Nous ou Nous Autres. Je mets tout mon savoir faire et toute mon énergie pour que les autres artistes et ma communauté soient fiers de moi. Malgré tout ça, certaines portes restent bloquées. À cause de quoi ? Je ne sais pas. Sois noir et tais-toi! Ça existe, mais pas pour moi, Il y a une petite clique qui veut diriger, contrôler. Parfois ils laissent passer un Noir ou une Noire, mais c’est pour mieux contrôler. C’est juste pour dire qu’il y en a une ou un, et cette société n’est pas exempte de ça. Et le pire de tout ça, c’est quand il se trouve des Noirs capables d’ouvrir certaines portes et qui ne te l’ouvrent pas. C’est aussi choquant ou pire que quand ça vient d’un Blanc.

Cet article est paru dans l'édition Hiver 2007 du Jumelé

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