samedi 11 août 2007

« Tu me manques… »
Application déficiente de la Loi contre la morale universelle

Sylvain THIBAULT







« Sache que malgré la distance qui nous sépare,
Ton ombre répond sur toutes mes routes.
Présent, tu réponds à chacun de mes rêves.
Les yeux de mon cœur ne cessent de te regarder
Et le refrain de mes prières n’est que le ciel nous accorde la possibilité de retrouvailles.»

C’est par ces mots que le jeune chanteur rappeur R. Honda exprime la souffrance de ceux et celles, filles et fils, mères et pères, séparés de leur raison de vivre.

L’humanisme caractérise aux yeux du monde le Canada, ce beau et grand pays. Dans les faits cependant et dans l’application de nos politiques, les choses en vont autrement.

Savez-vous que pour certains réfugiés à qui nous avons accordé le statut de personne protégée et par la suite le statut de résident permanent, nous freinons la réunification de la famille ? Et pourtant, la Loi de l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) contient clairement le droit à cette réunification:

La loi qui protège les réfugiés


En matière d’immigration, la LIPR a pour objet :
• Art. 3 (1) (d) : de veiller à la réunification des familles au Canada ;
• Art. 3 (2) (f) : d’encourager l’autonomie et le bien-être socioéconomique des réfugiés en facilitant la réunification de leurs familles au Canada.

À l’échelle internationale, le Canada est signataire de la Convention relative aux droits de l’enfant. Celle-ci contient les dispositions les plus explicites concernant la réunification des familles des réfugiés :
• Art. 9 (1) : Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
• Art. 10 (1) : Conformément à l’obligation incombant aux États parties en vertu du paragraphe 1 de l’article 9, toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d’entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les États parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence.

Est-ce que le Canada applique cette Loi ?


Dans les faits il en va autrement. La lecture de l’intégralité des textes, des témoignages, des références et des statistiques publiés par le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR) montre que

...la Loi sur l'immigration non seulement ne résout pas tous les problèmes des enfants, mais contribue à en créer de nouveaux.

l’application de la Loi sur l’immigration ignore le droit et la morale universels, à savoir le droit de la famille en tant qu’élément naturel et fondamental de la société. Les témoignages repris dans ces textes sont tout simplement révoltants. Et le CCR le dit clairement : « la Loi sur l’immigration non seulement ne résout pas tous les problèmes des enfants, mais contribue à en créer de nouveaux ».

La loi de la nature a prévu que l’enfant naisse pour qu’il connaisse son père, sa mère et s’épanouisse dans l’harmonie familiale. Et voilà que les guerres et les violences de tout genre s’en mêlent. Des hommes, des femmes et des enfants en sont victimes. Ils sont obligés de quitter leur famille, leur emploi et leur pays pour sauver leur vie en danger. Quitter son pays pour se réfugier dans un autre pays entraîne une séparation.

Cette séparation implique une rupture et une multitude de deuils tant pour celui qui a dû quitter que pour ceux qui sont restés. Pour le premier, le parcours sera long, très long : traversée des frontières, demande et obtention du statut de réfugié puis la résidence permanente et enfin, le jour où commencera le traitement de la demande de réunification de la famille. Pendant cet interminable parcours, combien de cris la Loi refusera d’entendre !

...je voulais voir ma mère. Pendant les quatre ans que je ne l'ai pas vue, je pleurais.


Lors du traitement du dossier de réunification familiale, les choses se gâtent souvent. Jugez-en : pour un réfugié arrivé au Canada, il faut, pour les cas les plus rapides, un délai de cinq mois avant d’être entendu en audience, six mois pour obtenir la résidence permanente, et six mois pour la réunification familiale (dans plusieurs dossiers : plus de 18 mois). Pour les plus chanceux, il faut dix-sept mois. Dix-sept mois, c’est très long : trente-six mois, ça semble une éternité. Et cinq ans c’est carrément inacceptable dans un pays de tradition humanitaire. Où est-elle l’application de la Loi ? Que font les décideurs et les intervenants chargés de l’appliquer ?

Les agents d’immigration qui doivent décider du sort des enfants et familles en détresse disposent d’une série d’informations et ne cessent d’en demander d’autres. Au-delà des pièces administratives, ils exigent des examens médicaux et le fameux test d’ADN. Et comme ce n’est pas encore assez, il faut programmer des entrevues dans le pays d’origine. Entre-temps les dossiers s’accumulent, les délais s’allongent et les souffrances s’intensifient.

L’histoire de Fadhir


« Moi, je m’appelle Fadhir , aujourd’hui j'ai 17 ans. Ma mère a quitté notre pays pour sauver sa vie alors que j’avais 13 ans. Un an après son arrivée au Canada, je croyais que les choses s’organiseraient vite pour qu'on se retrouve unis, mes frères et moi, dans le même foyer avec notre maman. En attendant, je vivais avec mon oncle pendant que ma mère m'envoyait des sous dont je ne voyais pas la couleur. De cette peine proviennent mes touts premiers textes de rap, portant sur la misère et la galère. Je me souviens du jour de mon anniversaire où j'ai dormi le ventre vide. Mais de ce qui se passait, je ne savais rien. Tout ce que je savais, c'est que ça tardait et que je voulais voir ma mère. Pendant les quatre ans que je ne l’ai pas vue, je pleurais plutôt mon petit frère qu'elle avait quitté et qui pleurait à cause de son manque d’elle. Chaque fois qu'on m’apprenait quelque chose sur l'évolution de nos « papiers », je me disais : « c’est un pas vers nos retrouvailles ». Mais il en a fallu des pas ! Pendant quatre années, mes frères et moi avons vécu séparés de notre maman. Je suis enfin ravi que pour une fois dans mon existence, je vis sans aucun manque (à part la nostalgie de mon pays), avec ma famille entière. Je suis très reconnaissant. Merci a tous ceux qui ont retroussé leurs manches pour que cela arrive. » (Fadhir, 17 ans)

Une petite fille loin de son père


« Elle a quatre ans maintenant. Disons... un peu moins de 5 ans. Ça fait trois ans que je l'ai quittée. Elle me manquait déjà dès la première semaine de notre séparation !

Chaque jour qui passe, j'ai peur; peur qu'elle arrive trop tard, quand je ne serai plus capable d'être vraiment son père, celui qu'elle aurait voulu voir chaque soir avant de se coucher et chaque matin quand elle se lève. Plus le temps passe, et plus je constate que je ne peux vraiment pas me réaliser pleinement, ni à mon emploi, ni dans mes relations avec les « gens du terroir » comme s’ils étaient la cause de notre séparation, et quoi que je fasse, je ne suis plus le même, car depuis que je suis parent, je suis incapable de ne pas vivre ma paternité.

Souvent, je pense bien faire en introduisant une discussion par « j’ai une fille ». Voilà : je viens de partager la nouvelle la plus importante de ma vie. Mais quelle importance, car mon interlocuteur me parle de la météo de demain, « 1 degré de plus par rapport aux moyennes saisonnières… » Le réchauffement de la planète, tu vois ! J’ai alors compris que tous les députés dans ce pays étaient des célibataires, comme tous ces ministres que je vois à la télé… Sinon, ils auraient fait quelque chose pour ces enfants séparés et sacrifiés.

Il est très étonnant de constater que dans un pays où les violences faites à l'enfant sont les plus réprimées, non seulement par les pouvoirs publics, mais aussi par l'opinion et les médias… il est étonnant que des enfants soient maintenus séparés de leurs parents, réfugiés et immigrants déjà présents au Canada. Quel enfant, femme ou mari de député, quelle personnalité politique canadienne accepterait cette situation ? Mesdames et Messieurs les décideurs politiques, combien de temps accepteriez-vous d’être séparés de votre fils, fille, conjoint ou conjointe ?

J'ai alors compris que tous les députés dans ce pays étaient des célibataires, comme tous ces ministres que je vois à la télé...Sinon, ils auraient fait quelque chose pour ces enfants séparés et sacrifiés.


Est-ce que vous me pensez intégré parce que j’ai un emploi ou parce que je suis connu de ma députée d'Ahuntsic ? Ou encore parce que je suis impliqué dans plusieurs organismes comme bénévole ? Eh bien, trêve d’illusions ! Aussi longtemps que ma petite fille ne sera pas avec moi, je serai toujours étranger dans ce pays et ce pays me sera toujours étranger. C'est tout simplement inhumain et cruel. » (Ignace).

On le constate : la véritable intégration est tributaire d’un retour à la vie en famille, des retrouvailles de l’enfant chéri, source de joie. Elle ne pourra s’amorcer que lorsque l’esprit sera enfin libre des souffrances causées par l’absence des siens. Les retards à l’intégration entraînent une lourde facture à payer.

Aussi longtemps que ma petite fille ne sera pas avec moi, je serai toujours étranger dans ce pays et ce pays me sera toujours étranger.

Tragique pour les familles, et très amère pour le Canada. Pour les familles, les coûts des communications limitent la quantité et la qualité des échanges entre parents, augmentent l’incompréhension et la méfiance mutuelle, et affaiblissent les relations. Les longues procédures sont stressantes et les moyens financiers manquent souvent pour y faire face rapidement. Aussi, quelle que soit la durée de la séparation d’enfants des réfugiés, c’est au Canada (pas ailleurs) que les conséquences se feront sentir.

Appel aux décideurs


Chers décideurs, il est urgent d’investir temps et énergie pour mettre en place une Loi un peu moins coercitive, qui respecte réellement les droits des enfants et des familles.

Chers agents d’immigration qui étudiez les dossiers, respectez l’esprit de la Loi et de ses règlements et de grâce, gardez à l’esprit qu’au-delà de ces dossiers, il y a des cœurs de mères, de pères, d’enfants blessés qui ne cessent d’espérer la réunification de leur foyer.

La Mission communautaire de Montréal (MCM) joint sa voix au Conseil Canadien pour les réfugiés (CCR) pour demander au gouvernement

que le traitement des dossiers des membres de familles réfugiées, surtout dans les cas d’enfants séparés, soit fait au Canada et non dans le pays d’origine (le pays de la persécution).

Ce changement de pratique aurait pour conséquence immédiate de favoriser l’intégration saine des réfugiés puisque la famille est source de sécurité et du désir d’agir. Réunie, la famille ne sentirait plus la détresse et les profondes inquiétudes de la séparation qui rongent la vie de chacun et trop souvent freinent l’intégration psycho-socio-économique. Le Canada y gagnerait à réunir les familles de réfugiés, beaucoup de gens en ont la certitude. Oserons-nous nous engager résolument et solidairement dans ce défi dans un geste humanitaire susceptible de garantir la dignité de la personne, de toute personne?

« Fiston, je t’aime fort et tu me manques tant.
Sans toi à mes côtés,
Les jours passent certes, mais la vie est plus qu’amère.
Je ne t’oublie pas,
Non, je ne t’abandonne pas.
Chasse cette idée de ton esprit.
Je t’embrasse fort, très fort, fiston.
Et promis, si le ciel est bleu au-dessus de tous,
Bientôt tu seras dans mes bras.
R. Honba

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Cet article est paru dans l'Édition Été 2007 du Jumelé.


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