dimanche 20 janvier 2008

À la fois porteur de malheur et de bonheur
Le rendez-vous


ZAHIA ZIOUCHE


Ce mot ou plus exactement cette expression composée de deux mots, évoque en moi une multitude de pensées et de souvenirs. Lorsque j’étais plus jeune et que je l’entendais, je regardais tout de suite autour de moi pour voir et comprendre la suite qu’il impliquait. Traduit en paroles, le mot rendez-vous pouvait à la limite être prononcé pour désigner un rendez-vous médical mais pas plus. Il n’était surtout pas permis d’être prononcé par une fille, devant un père ou un frère. C’était presque comme un péché ou un blasphème. L’usage de certains termes au sein de la famille avait des limites que les femmes devaient se garder de franchir. Or, merveilleusement nous l’enveloppions de mille petits soins, dans nos secrets de filles. Nous nous le partagions discrètement quand l’amour était au rendez-vous. C’était donc l’interdit qui remplissait nos moments les plus heureux. Il accompagnait nos discussions furtives, voire emmitouflées. Ce mot devenait alors magique et nous procurait des joies intenses. Il représentait l’espoir d’une rencontre entre deux cœurs amoureux. Malheureusement, il fallait livrer un combat qui défiait les dures lois d’une société sans pitié, pour les femmes en particulier.

Aujourd`hui, et même si je peux en disposer et en user, en toute liberté, j’éprouve encore une certaine appréhension inconsciente. Une résonance profonde qui provoque en moi des sensations dérangeantes et incompréhensibles. Il faut croire que certains souvenirs de notre subconscient restent intenses. Leur influence aura marqué notre âge le plus tendre et les cicatrices sont parfois indélébiles.

En compagnie de mes amies filles, nous prenions inlassablement le droit de chuchoter ce mot péché. Il était pour nous, à la fois, porteur de malheur et de bonheur. Nous défiions toutes les lois. Cependant, gare à celle qui avait l’audace de le laisser entendre haut et fort autour d’elle. Elle pouvait risquer de ne jamais plus mettre le nez dehors sans escorte. Se voir même emprisonnée et privée d’étudier. Elle pouvait risquer de se retrouver mariée plus tôt que prévu et au premier prétendant qui se présentait.

Et pourtant, entre nous, nous partagions ce mot secret, affectueusement et secrètement, dans l’intimité totale. Il était le symbole de nos rêves de jeunes filles. Il nous transportait dans un monde inaccessible. Grâce à lui, nous voyagions à travers les merveilles du monde imaginaire, vers des amours impossibles et imprudents. Il nous permettait d’étancher notre soif des plaisirs et des fantasmes que tout être humain avait le droit d’atteindre.

Nous devions communiquer entre nous par le geste ou l’écriture d’un petit mot secret, écrit par la main d’un amoureux transis mais qui gardait encore l’espoir de rencontrer sa dulcinée. Parfois, un minuscule bout de papier avait subi mille et un dommages avant d’arriver entre les mains de la belle. Celle-ci, souvent au risque de sa vie, arrivait à déchiffrer l’endroit désigné par le mot interdit. Son rendez-vous fatal avec l’amour et la passion. Bref, que d’histoires heureuses et malheureuses ont tourné autour de ce mot qui continue d’exister et semble même éternel.

Je finirai mon récit en me rappelant d’un proverbe qui me plait énormément car il m’inspire beaucoup d’espoir et de patience : peut être qu’une rencontre fortuite vaut mieux que mille rendez-vous…

Cet article est paru dans l'édition automne 2007 du Jumelé