dimanche 20 janvier 2008

Vivre ensemble égaux/égales et différentEs
Un défi d’abord politique


LORRAINE GUAY

Une grande partie de l’actualité médiatique est actuellement braquée sur la Commission Bouchard-Taylor et sur les audiences qui s’y succèdent depuis bientôt un mois. Tous ceux qui avaient critiqué vertement la tenue de cette commission commencent maintenant à en percevoir quelque mérite. Elle pourrait même constituer, selon certains, «notre plus belle revanche collective» sur Bib Brother, cette force occulte qui manipule les fils de citoyenNEs devenus marionnettes. Il sera en effet très difficile pour les décideurs politiques de faire fi d’un tel forum citoyen. Encore faut-il que tous et toutes y participent, malgré ses lacunes évidentes : aucune femme dans la co-présidence et aucunE représentantEs des milieux issus de la diversité ethno-culturelle ce qui a fait dire à plusieurs, et avec raison, qu’il s’agit d’une commission de Blancs pour Blancs. Raison de plus pour renverser la vapeur et investir massivement cet espace de parole publique.

Un des constats majeurs –et extrêmement prometteur- qui se dégagent des opinions émises, c’est que l’homogénéité n’existe pas…un truisme sans doute mais que plusieurs découvrent à leur grande surprise. Tous les citoyenNEs qui interviennent dans le cadre de la Commission ne partagent pas nécessairement les mêmes analyses de la situation ni les mêmes perspectives.
Au-delà de la seule question des accommodements raisonnables dont on mesure de plus en plus qu’ils ne constituent pas cet épouvantail monté en épingle par des démagogues patentés et relayés avec complaisance par certains médias, ce que les audiences de cette commission mettent en évidence, c’est le pluralisme politique de la société québécoise et pas seulement sa diversité culturelle ou religieuse.

Et l’interrogation fondamentale du «vivre ensemble égaux/égales et différentEs» auquel sont confrontées toutes les sociétés – pas seulement les sociétés occidentales mais également les sociétés africaines, asiatiques, latino-américaines, etc. – relève essentiellement du politique. Comment vivre ensemble dans l’égalité des droits et les différences d’histoires, de cultures, de langues, de religions, d’orientations sexuelles, etc. ? Laissés à eux-mêmes les humains ont tendance à se replier sur leur communauté, à vivre en ghetto, majoritaire ou minoritaire, peu importe. En effet, «il n’est ni naturel ni inné de considérer les êtres humains comme égaux, d’affirmer que toute personne participe à l’énoncé de la loi, que la liberté est le premier bien de l’humanité et l’ouverture aux autres une condition privilégiée de son existence, que la solidarité reste une valeur et qu’elle ne se limite pas à son groupe, son clan, sa tribu, sa communauté, sa nation». Seuls le travail politique et la délibération dans l’espace public démocratique permettent d’en faire l’apprentissage.

D’où l’importance de poser la question du vivre ensemble en lien avec le monde dans lequel nous vivons, un monde dont le système économique et politique est très massivement capitaliste, patriarcal et raciste pour reprendre la manière dont la Marche mondiale des femmes le qualifiait; un monde où les droites sont au pouvoir presque partout en Occident et où plusieurs régimes intégristes ou dictatoriaux se maintiennent en Asie et au Moyen-Orient. Loin d’apporter des réponses à l’interrogation du «vivre ensemble», ces régimes creusent des fossés et nous éloignent les uns des autres. «Martèlement des thèmes de « l’identité nationale», de l’insécurité, de l’immigration, mobilisation des «armées de Dieu» au service des valeurs morales traditionnelles et du retour à l’autorité : plus les inégalités se creusent, plus la droite, détournant le regard (le sien et celui des autres) invoque comme référence centrale les «identités» culturelles, ethniques, religieuses. .

Et quand on pose ces questions, tous et toutes, personnes réfugiées et immigrantes, québécois dits «de souche», francophones, anglophones, toutes religions et couleurs confondues, nous nous retrouvons sur le même terrain, celui du pluralisme politique, là où se jouent les grandes orientations politiques pour faire face aux défis qui sont les nôtres. Les lignes de démarcation traversent ici les cultures et les religions quoique la religion a un impact indéniable sur les orientations politiques selon que les croyantEs appartiennent au courant fondamentaliste chrétien, juif, musulman, hindou, etc. ou à son courant réformateur voire progressiste. Ainsi, toutes ces religions pratiquent la discrimination envers les femmes. L’influence dominante du catholicisme au Québec pendant de nombreuses décennies a retardé l’émancipation des femmes et cette émancipation s’est largement réalisée contre l’Église et ses enseignements, une tâche non encore achevée d’ailleurs…quand on voit les parents catholiques repartir à l’assaut de l’école. On retrouve les mêmes freins du côté des musulmans intégristes ou des chrétien fondamentalistes à la Bush.

De même quand on pose la question du système socio-économique dans lequel nous vivons, nous constatons que la majorité adhère à une forme ou l’autre de capitalisme néolibéral, certains optant pour sa version «pure et dure» à la Tatcher/Reagan/Harper/Bush/Harris, un certain nombre pour des formes plus «modérées» de social démocratie alors qu’une minorité s’est activement engagée dans des combats pour un «autre monde», contre le capitalisme, le patriarcat et le racisme. Au Québec les options souverainiste et fédéraliste se jouxtent à ces clivages.

Ce sont donc aussi ces orientations politiques qui constituent la toile de fond des débats actuels et qui mettent en lumière des alliances et des confrontations qui transcendent les identités culturelles et les religions. Ainsi de nombreuses personnes immigrantes rejoignent les rangs de la majorité dans leur appui inconditionnel à un système qui perpétue les injustices; plusieurs, voulant avec raison améliorer leur condition économique, trouvent dans les orientations néolibérales de l’Amérique du Nord la seule voie de sortie de la pauvreté et de l’accès à la richesse; plusieurs sont d’accord avec la privatisation du système de santé et d’éducation; plusieurs voient d’un très mauvais œil la présence envahissante de l’État dans la vie des citoyenNEs et l’associent au spectre du socialisme, etc. Bref, immigrantEs, membres de groupes religieux et membres de la société d’accueil s’entendent comme larrons en foire quand vient le temps de soutenir un système néolibéral. C’est d’ailleurs dans ce système que la plupart veulent s’intégrer…comme la majorité des membres de la société d’accueil.

Pour faire face aux défis du «vivre ensemble égaux/égales et différentEs», ce n’est pas d’accommodements avec le système en place que nous avons besoin, mais de rupture radicale et de construction d’alliances nouvelles pour «l’avenir du Québec et du monde» comme nous y invitait l’Assemblée des mouvements sociaux le 26 août dernier dans le cadre du premier Forum social québécois.

Cet article est paru dans l'édition Automne 2007 du Jumelé

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