samedi 11 août 2007

Gestion de la diversité:
Employeurs,
connaissez-vous assez les immigrants ?


Ahmed KOUAOU

La politique d’intégration était axée jusque-là, et en grande partie, sur l’orientation et l’encadrement des immigrants. Force est de constater que ces efforts n’ont pas été toujours payants. L’un des ratés de cette approche est d’avoir ignoré, sinon très peu intéressé, l’employeur. Pourtant, c’est à ce dernier que revient le dernier mot quand il s’agit de recruter un immigrant, donc de lui ouvrir la première et plus importante porte d’intégration dans la société. Et l’on ne peut que se réjouir de ce début d’intérêt qui contribuera, espérons-le, à rectifier le tir. Il est vrai que l’intégration implique un effort de l’immigrant, mais elle suppose aussi une contribution de la société qui a fait le choix de l’accueillir.
Emploi-Québec et le Mouvement québécois de la qualité viennent d’éditer un précieux Guide pratique de la gestion de diversité interculturelle en emploi. Ce document est destiné aux employeurs afin de répondre à leurs besoins d’adaptation à un nouveau contexte fait, entre autres, de mondialisation de l’économie et des cultures, de délocalisation de la production, de vieillissement des populations et d’augmentation de l’immigration.
Nul besoin de dire que les entreprises québécoises, évoluant dans un pays qui accueille depuis quelques années des flux migratoires impressionnants, sont appelées à composer avec la diversité de leurs ressources humaines.

Autant dire que la gestion de la diversité interculturelle n’est plus un choix, mais une nécessité.


« Une entreprise se donne un avantage stratégique et concurrentiel si elle incorpore les principes de gestion de la diversité. Par conséquent, la diversité est rentable ! »
Le Guide pratique de la gestion de diversité interculturelle en emploi propose en introduction une définition de la diversité culturelle et certains concepts qui peuvent en découler, comme l’équité, l’accommodement raisonnable, le préjugé, l’ethnocentrisme, etc. Les entreprises sont d’emblée invitées à remplir un Diversimètre, un questionnaire qui tend à cerner leur degré d’ouverture à la diversité.

Accepter la différence


Réussir la gestion de la diversité dans une entreprise passe inévitablement par une formation des gestionnaires, notamment des responsables de l’employabilité. « Quelles que soient l’origine ou la culture, les préjugés existent partout. L’important est de ne pas les laisser contaminer les relations professionnelles ou personnelles», peut-on lire dans le guide qui cite d’ailleurs un exemple selon lequel les stéréotypes, les préjugés et les valeurs peuvent être à l’origine d’une discrimination : « Un ou une gestionnaire élimine a priori les curriculum vitae des candidats avec des noms à consonance Y et les présume être d’une culture et de religion X, sans évaluer leurs compétences parce qu’à son avis, ces personnes ne s’adapteront pas aux valeurs de l’entreprise et de la société environnante et qu’elles exigeront trop en matière d’accommodement. À ses yeux, toutes les personnes de cette origine sont comme ça. »
On ne peut s’empêcher, à la lecture de cet exemple, de rappeler l’histoire édifiante de cet immigrant d’origine marocaine, professionnel de l’agroalimentaire, qui avait envoyé sa candidature pour un poste dans une grande coopérative québécoise. Sa démarche est restée sans suite, même si ses compétences répondaient parfaitement aux exigences du poste. Il avait alors envoyé une nouvelle fois son CV, le même, avec une seule modification : au lieu de son vrai nom à consonance arabe, il s’est rebaptisé Marc Tremblay. Le lendemain, il reçoit un appel de l’employeur l’invitant à une entrevue !
Les rédacteurs du guide l’écrivent sans détour :

« Issus de la culture nord-américaine, nous avons parfois tendance à croire à notre supériorité par rapport aux gens des autres cultures. Le corollaire de l’appartenance à cette culture est que nous en déduisons parfois que tous les autres agissent forcément de façon incorrecte. Pourtant, nous avons tant à apprendre en comprenant des autres cultures. »

Adapter les outils de sélection


Le premier moyen de diversifier ses ressources humaines est de se donner accès à un plus grand bassin de candidats. Encore faut-il, pour se faire, repenser l’analyse des postes qui, en contexte de diversité, revêt toute son importance. L’idée est de revoir les normes et les exigences pour un poste de manière à ce qu’elles ne soient pas un obstacle à l’embauche de certains types de travailleurs. Afin d’éviter de puiser dans les mêmes sources qui donnent, du reste, accès au même type de candidatures, il est conseillé à l’entreprise d’explorer certaines pistes comme Immigration-Québec, les organismes communautaires, les centres locaux d’emploi et les médias communautaires et ethniques.
Une bonne sélection, celle qui s’ouvre à l’embauche de candidats immigrants et des minorités visibles, est tributaire de l’ouverture des responsables et leur capacité à analyser les expériences et les formations acquises à l’étranger. « Plusieurs études portant sur le comportement des gestionnaires au moment de l’analyse des candidatures révèlent qu’il existe encore des réflexes discriminatoires, bien que majoritairement involontaires. Il en résulte que les candidatures des personnes immigrantes ou de minorités visibles sont rejetées plus facilement », lit-on dans le guide. D’où la nécessité de former les personnes qui effectuent la sélection et de mettre au point des grilles normalisées d’analyse des candidatures.
En outre, les outils de sélection tels que les tests psychométriques, conçus pour la majorité, risquent de ne pas convenir à un bassin de candidatures diversifiées, les cadres de référence culturels étant différents.

Souvent, les outils utilisés par les compagnies québécoises sont une version francophone de ceux utilisés aux États-Unis et comportent de sérieuses limites dans un contexte de diversité culturelle

La manière de se comporter devant un test et d’y répondre diffère selon les cultures. Il est donc recommandé d’adapter les tests de sélection aux groupes minoritaires ou alors d’imaginer de nouveaux outils exempts de biais culturels.

L’entrevue de sélection


L’entrevue est l’étape la plus déterminante dans le processus de sélection. Dans un souci de gestion de la diversité, il est important pour les gestionnaires de se demander comment s’assurer que les comportements discriminatoires, conscients ou non, au moment de l’entrevue seront décelés. « Il est important de noter que l’utilisation de critères fondés sur les attitudes du candidat ou de la candidate peut biaiser le processus lorsque des traits culturels particuliers sont interprétés et hiérarchisés en fonction de la norme culturelle du groupe majoritaire. »
Les responsables de l’embauche sont donc appelés à mener des entrevues structurées et méthodiques mais aussi et surtout à avoir constamment conscience des filtres culturels. Au Québec, l’impression favorable vient souvent d’un candidat confiant, qui agit directement, qui maintient le contact des yeux avec les interviewers, qui exprime son approbation par des signes de la tête, qui demande des éclaircissements, qui pose de questions, etc. L’impression défavorable vient, quant à elle, d’un candidat qui parle à voix basse, qui ne regarde pas les interviewers dans les yeux, qui est trop humble face à ses accomplissements, qui parle sur un ton monotone, etc. Il n’est pas ardu de conclure que les immigrants risquent fortement, en raison de leurs caractéristiques culturelles, de collectionner les impressions défavorables au fil des entrevues.
«Le candidat, ou la candidate, d’origine X ne nous a presque pas regardés durant l’entrevue; d’ailleurs son regard était fuyant. Comment pourrions-nous lui faire confiance ? »

L’existence de tels filtres culturels nous empêche souvent de sélectionner la personne qui pourrait être la meilleure employée.


Il faut retenir, par ailleurs, que sur le plan légal, il est interdit, au moment de l’entrevue, d’exiger d’une personne des renseignements qui pourraient être à l’origine d’une discrimination basée sur la race, la religion, l’orientation sexuelle, l’origine ethnique, les convictions politiques, etc. Au Québec, les articles 10 et 18.1 de la Charte des droits et libertés de la personne stipulent l’interdiction de la discrimination et le droit à l’égalité.
« Ne pas offrir un poste à une personne parce qu’on présume qu’en raison de l’exercice de sa religion, elle ne voudra pas travailler les samedis, constitue une discrimination indirecte. Bien que la disponibilité constitue une exigence justifiée, l’employeur est tenu à l’obligation d’accommodement raisonnable. »

L’accommodement raisonnable


Après la sélection, d’autres défis attendent l’entreprise afin de faciliter l’intégration en son sein d’employés immigrants. Les gestionnaires devraient respecter le rythme d’intégration, penser à la barrière de la langue et préparer les équipes qui reçoivent les personnes nouvellement recrutées.

Nul doute que dans un contexte de diversité culturelle, des conflits peuvent toujours surgir et peuvent parfois s’apparenter à des «chocs culturels »

Contrairement à certaines idées erronées, l’accommodement raisonnable n’est pas un traitement privilégié réservé aux immigrants. Il s’agit d’une notion juridique qui découle de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. L’accommodement raisonnable peut s’appliquer à toute personne susceptible d’être victime de discrimination en raison de sa race, son sexe, son origine ethnique, ses caractéristiques sur le plan physique, etc. « On peut définir l’accommodement raisonnable non seulement comme une question de droit, mais aussi, et d’abord, comme une norme de sens commun, de solidarité civique spontanée, où des arrangements servent à réduire les frictions de la vie quotidienne, de la gestion des ressources humaines et du service à la clientèle. » Dès lors, des adaptations sont nécessaires au niveau des pratiques, des contraintes, des conditions, des exigences professionnelles, en fonction des besoins des employés.
Toutefois, l’accommodement raisonnable a des limites d’application et l’entreprise dispose toujours d’une marge de manœuvre. « Il ne s’agit pas de se plier inconditionnellement à tous les particularismes et, encore moins, à toutes les intransigeances. L’accommodement ne doit ni produire un effet préjudiciable pour les autres membres du personnel, ni modifier substantiellement le fonctionnement de l’entreprise. »
L’employeur devrait établir un équilibre entre les exigences de ses employés et les limites de l’accommodement dictées par les impératifs de l’entreprise. Il devrait donc être attentif aux demandes exprimées, reconnaître la légitimité des problèmes soulevés, rechercher des solutions possibles avec les employés et statuer sur une mesure d’accommodement. D’autre part, la jurisprudence a établi plusieurs limites comme l’impact des frais et la disponibilité de ressources financières, les conséquences sur d’autres membres du personnel ainsi que l’effet négatif sur l’efficacité et la productivité de l’entreprise.
En somme, la diversité, élément nouveau dans la gestion des ressources humaines au Québec, présente bien des avantages au plan économique et pose aussi certains défis au niveau de la gestion… Défis que les immigrants et les employeurs doivent relever dans un esprit de compréhension mutuelle.

Exemple d’accommodement raisonnable:
Chez les Aliments Cargill, une entreprise de transformation alimentaire (usine de Chambly), plusieurs groupes minoritaires sont représentés. Par le fait même, différentes demandes d’accommodement surviennent. Plusieurs de ces requêtes ont rapport avec des adaptations visant à faciliter les pratiques religieuses et culturelles du personnel. Certaines de ces revendications touchent la tenue vestimentaire. La plupart de celles-ci sont accordées au personnel de bureau. Par contre, pour le personnel de production ayant à manipuler la nourriture ou de la machinerie, les demandes visant à obtenir le droit de porter des vêtements liés à leur pratique religieuse (par exemple, le hidjab, le turban, la djellaba, etc.) doivent être traitées différemment. Devant cette situation, l’entreprise est en droit de refuser ces demandes puisque cela représenterait une contrainte excessive l’obligeant à réduire ses normes liées à la santé et à la sécurité des travailleurs et travailleuses, de même qu’à la conservation de la salubrité et de l’hygiène à l’intérieur de ses processus de production. Néanmoins, lorsqu’un accommodement raisonnable n’entre pas à l’intérieur de ces contraintes, il est généralement accordé. Des salles à l’intérieur de l’entreprise ont été mises à la disposition de certaines personnes pour leur permettre d’exercer pleinement leur religion durant les heures de bureau.

Le guide est consultable dans son intégralité en cliquant ICI
Cet article est paru dans l'édition Été 2006 du Jumelé.


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