samedi 11 août 2007

Maire d’Amos en Abitibi
Qui est Ulrick Chérubin ?

Frans VAN DUN







Dans son cas, on ne peut éviter le terme de minorité visible. En effet, cet Haïtien pure laine est à peu près le seul Noir que vous risquez de rencontrer dans la petite et jeune ville d’Amos avec ses 14 000 habitants, berceau de l’Abitibi. Est-il regardé de travers pour autant par ses concitoyens ou marginalisé ? Pas du tout ! En 2002, les gens d’Amos l’ont même élu maire de leur municipalité avec une écrasante majorité.

C’est dans son bureau de l’Hôtel de Ville qu’il nous accueille avec un large sourire. Monsieur Chérubin n’a rien perdu de sa verve créole.

Originaire de Jackmet, il reçoit d’abord une bonne formation de base. S’orientant ensuite vers la prêtrise après son bac, il consacre deux ans à l’étude de la philo, puis trois à la théologie, dont la dernière au Nouveau Brunswick. Il lui reste un an… Mais là, il hésite, réfléchit, et change d’orientation. C’est à l’UQTR qu’il s’inscrit à un bac en enseignement, option sciences religieuses. Au cours de cette dernière période, il fait la rencontre de sa vie en la personne de Immacula Morisset, infirmière, immigrante et d’origine haïtienne comme lui. Le couple aura deux enfants.

Après un remplacement de prof au Cap-de-la-Madeleine et à la recherche d’un emploi plus stable, le voilà convoqué à une entrevue en Abitibi. La commission scolaire y manque cruellement de profs de religion. Ulrick accepte le poste offert, mais y met une sourdine en annonçant à son futur directeur : « Je vous garantis deux ans… ». Celui-ci de répondre avec un sourire en coin : « Quiconque goûte l’eau d’Amos ne peut plus s’en passer. »

Il fulmine contre des collègues pédants qui traitent les élèves de "cancres". Ce sont des mots qui tuent. Il faut trouver les paroles qui encouragent et font vivre...


Catapulté dans une région à 650 km de Montréal, d’emblée, Ulrick va s’acclimater. Il est vrai que trois facteurs facilitent son intégration : une parfaite connaissance de la langue, un diplôme québécois et la même religion catholique que la grande majorité de ses concitoyens. Mais il y a surtout le fait que le prof aborde son nouvel environnement sans préjugés. Il observe, écoute, découvre. Et cette exploration débouche rapidement sur un attachement sincère et fort à ce coin de pays où les gens se montrent accueillants. Le courant passe de part et d’autre. Ulrick est prêt à donner le meilleur de lui-même et bientôt, plus personne ne fait attention à la couleur de sa peau.

À l’école secondaire, le nouvel arrivé se démarque, à la fois comme prof et comme éducateur. La matière enseignée s’y prête d’ailleurs. Son approche est basée sur le respect et l’amour du jeune.

Il fulmine contre des collègues pédants qui traitent les élèves de « cancres ». Ce sont des mots qui tuent, prétend-il. Il faut trouver les paroles qui encouragent et font vivre…

Est-ce que cette attitude ne serait pas approuvée dans n’importe quel autre contexte culturel ? Pas étonnant que ses élèves l’adoptent et l’adorent. Ils pressent d’ailleurs leurs parents à aller le voir lors des rencontres profs-parents, souvent réservées aux titulaires des matières principales. Ainsi, la réputation d’Ulrick est établie. Sans s’en rendre compte, il a déjà recruté de nombreux militants qui, bien plus tard, vont organiser ses cabales électorales !

De la paroisse à la mairie


Monsieur Chérubin s’engage également dans la vie paroissiale et sociale. Il participe aux projets Développement et paix, anime une équipe d’études bibliques en collaboration avec un exégète prof d’université, et gravit tous les échelons des Chevaliers de Colomb. On devine ici une source précieuse de spiritualité à l’origine de ses interventions, mais à ce sujet il se montre fort discret.

Ainsi coule la vie de cet immigrant comme la rivière Harricana. Souvent calme, parfois tumultueuse. Il s’est fait Amossois avec les Amossois, sans renier en rien sa culture d’origine dont il a gardé une notion du temps plus souple et généreuse.

À l’occasion, il prépare un menu haïtien pour ses invités abitibiens : un grillot, du porc désossé rehaussé d’un savant mélange d’épices et de la banane plantain frite, le tout accompagné d’un verre de rhum Barbancourt, onctueux et souple, produit à partir de jus de canne à sucre et de souvenirs d’esclavage.

Nous voici en 1993. À l’école, le prof est devenu animateur de pastorale, poste qui le rapproche encore des élèves. Ses deux fils ont quitté le domicile familial pour aller poursuivre des études en dehors d’Amos. Sa femme, assistante infirmière-chef, travaille souvent tard au Centre hospitalier… Un soir, seul à la maison, Ulrick s’ennuie et tourne en rond. Surgit alors une question existentielle : « Comment me rendre plus utile à la communauté au lieu de m’écraser devant la TV ? Et si je me présentais aux élections municipales ? » Il bascule, et se présente en 1994 au poste de conseiller au quartier n° 2, en compétition avec deux autres candidats connus. Résultat : il l’emporte avec une majorité de 500 voix. « Les électeurs du quartier m’ont fait un grand honneur ce jour-là », fait-il remarquer.

Le voilà à la table du conseil. Il y fait son apprentissage, prend de l’assurance, lance des idées. Son certificat en administration et ses cours d’anglais vont lui servir. Puis, après un premier mandat de quatre ans, il se représente en 1998. Comme sa réputation est solidement assise, pas besoin de campagne électorale, il est réélu par acclamation.

Depuis son arrivée à la table du conseil, l’élu a aiguisé sa compétence. Sa vision de l’avenir d’Amos s’est précisée. La mairesse, Madame Murielle Angers-Turpin, est obnubilée par le remboursement de la dette et se montre peu ouverte aux idées plus progressistes du conseiller Chérubin, au point que celui-ci va poser sa candidature au poste de maire lors de l’élection de 2002. La décision est audacieuse et la victoire sera mince, malgré une bonne organisation : une majorité de 52 voix. Après recomptage judiciaire, 50 voix. C’est tout un défi qui attend le nouveau maire, il devra livrer la marchandise. Trois ans plus tard, en 2005, nouvelle élection. Ulrick l’emporte cette fois-ci avec une majorité de 84 % des voix. Une victoire décisive qui lui permet de s’atteler à la mise en oeuvre de son programme.

Gérer différemment


L’homme veut gérer différemment. Tout en remboursant la dette, il faut renverser la vapeur. Le climat est encore à la morosité et au défaitisme. Nombreuses sont les propriétés à vendre. Le chômage est trop élevé. Beaucoup de conducteurs font des excès de vitesse, cause de nombreux accidents.

Le maire réussit à convaincre le conseil de sa vision. À ses yeux, la Ville doit tracer la route et faire preuve de leadership dans le milieu, en particulier dans le domaine économique qui conditionne l’emploi. À cet effet, il faut se battre, attirer des investisseurs, et défendre bec et ongles chaque dossier auprès des instances politiques régionales, provinciales et fédérales pour décrocher des subventions. Sur ce front, le maire est particulièrement performant.
Il sait persuader et au besoin « crier, japper, ouvrir sa grande gueule », le tout dit avec un sourire désarmant. L’éloquence haïtienne lui sert grandement.

L’ascendant qu’exerce cet homme sur la population d’Amos et de la région s’explique sans doute dans le principe sacré qui régit ses relations humaines, le même qu’il a toujours appliqué comme pédagogue auprès des jeunes : tout être humain a droit à sa dignité et au respect. L’amour n’est pas sectaire, n’exclut personne. Dans un débat animé à la table du conseil, Ulrick se limite à un débat d’idées, évitant toute attaque personnelle. Respectant l’adversaire, il peut réclamer la même attitude envers lui.

Quand on rentre dans la ville d’Amos aujourd’hui, en provenance de Val-d’Or, on est frappé par un nouvel aménagement de la chaussée : un carrefour giratoire, des jardinières aux couleurs joyeuses, une rangée de jeunes d’arbres. De nombreux témoignages confirment que le climat d’Amos a changé. Il flotte de l’espoir en l’air.

À la tête d’un conseil dynamique, secondé par divers comités, exerçant un leadership à Amos et à titre de préfet dans la MRC et dans la région élargie, Ulrick Chérubin continue avec une incroyable ténacité à incarner sa vision, pierre par pierre.

Cet homme est un phare. Il veut d’ailleurs attirer d’autres immigrants. Ceux d’entre nous qui sont prêts à s’investir ne seront pas déçus. Les Amossois le leur rendront largement. Ils s’apercevront vite que Montréal est loin d’être tout le Québec. Pendant ce temps, l’eau d’Amos continue à jaillir de ses sources, filtrée par ses eskers. Son goût est unique.

Longue vie au maire d’Amos, à l’image de son père en Haïti, le vieux sage de Jackmet, allègrement centenaire.


Cet article est paru dans l'édition Automne 2006 du Jumelé.


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