samedi 11 août 2007

Vania Jimenez, médecin et romancière
Une source d'inspiration pour les immigrants

Frans VAN DUN






Il n’est jamais venu à l’esprit de cette immigrante d’origine arménienne de se donner en modèle d’acclimatation au Québec. Vania, modeste quoique surdouée, se montre plutôt incrédule quand on lui dit que son parcours à voies multiples et à contre-flots des modes, puisse être une source d’inspiration pour nous, immigrants, et surprendre des Québécois de souche. Et pourtant…

Passons aujourd’hui sur ses origines arméniennes, sa famille de sept enfants, sa carrière de médecin en milieu multiculturel au CLSC de Côte-des-Neiges à Montréal, ses recherches poussées sur les problèmes de communication avec des patients d’autres cultures, son enseignement de la médecine familiale à l’Université McGill, les distinctions professionnelles collectionnées, etc. Tout ce qu’elle touche porte la griffe de l’innovation et de la réussite... Limitons-nous ici à la première période de sa vie professionnelle.

En provenance de l’Égypte, précurseur du reste de la famille, Vania arrive à Montréal à l’âge de 18 ans. Nous sommes en 1964. Au Caire, ses parents l’avaient inscrite dans les écoles de la mission culturelle française au point qu’elle affirme aujourd’hui encore, malgré une connaissance parfaite de l’anglais comme de l’espagnol, et la pratique de sa langue maternelle, l’arménien : « Ma première langue est le français. » C’est ce qui explique que cette femme médecin qui ressent un besoin irrépressible et libérateur d’écrire, s’exprime en français dans ses romans. Elle pourrait sûrement faire sienne l’opinion du poète algérien Kateb Yacine : « Le français est à nous, c’est un butin de guerre. »

Quand elle obtient son diplôme de médecin à McGill, en 1969, déjà mariée et mère de deux enfants, la question se pose : où aller pratiquer la médecine et gagner sa vie ?

Vania adore déjà son pays d’adoption et, sachant que Montréal est loin d’être représentatif de tout le Québec, elle quittera la métropole pour aller s’installer en région. Décision plutôt rare en milieu immigrant. Après exploration, son choix tombe sur un petit village dans la vallée du Bas-Richelieu, voisin de Saint-Denis, appelé Saint-Ours. Il est situé au coeur du pays des Patriotes de 1837-1838. Un peu le Québec rural en miniature.

Elle veut découvrir et fera les premiers pas. Les habitants de Saint-Ours où elle est seule à pratiquer la médecine, l’ont vite jaugée et adoptée. Jimenez, son nom de famille « étrange » (celui de son mari en fait, car son nom arménien serait trop difficile à prononcer) ne les rebute pas. Cette femme respectueuse est trop à leur écoute pour être considérée comme une intruse. Très vite, Vania va adorer ce coin de pays où les vieilles solidarités et l’esprit des corvées sont encore vivants.

Comme médecin, elle est forcément confrontée à la misère des êtres humains et à leur souffrance. Prêtant l’oreille à ses patients, la jeune médecin se rend vite compte que des malaises de toutes sortes, quoique réels, sont souvent d’origine psychosomatique. Il faut donc traiter l’esprit autant que le corps, ce qui l’amène à aller chercher une formation en psychothérapie.

La voilà lancée dans ce village où l’histoire et la géographie ont façonné les mentalités. Saint-Ours s’étend le long des berges de la rivière Richelieu qui va se jeter un peu plus bas, à Sorel, dans le fleuve St-Laurent. Rivière et fleuve invitent à larguer les amarres et à partir à l’exploration du vaste territoire québécois. Les gens aiment les veillées et les fêtes. Dans leur joual savoureux, les vieux content des histoires, et la compagnie fait appel à ses violoneux, reprend les refrains des chansons à répondre et saute au rythme endiablé des sets carrés, danses traditionnelles québécoises. Tandis qu’au centre du village, imperturbable, bravant tempêtes et tornades, se dresse le clocher de l’église paroissiale depuis 1882.

Rien de tout cela n’est étranger à Vania. Confidente des gens, discrète, elle auscultera aussi l’âme collective de son monde qu’elle s’efforce de comprendre de l’intérieur sans partager toujours tous les mobiles des comportements. Son regard neuf et pénétrant, loin de tout snobisme universitaire, l’amène à faire des découvertes étonnantes.

On sait que les intellectuels au Québec, pour être à la mode, professent des opinions anticatholiques. À leurs yeux, la religion traditionnelle est synonyme de grande noirceur, et ils ne s’enfargent pas dans les nuances. Que l’on se réfère aux romans, au cinéma et aux séries télévisées. Et voilà que Vania Jimenez vient bousculer ces idées simplistes. Elle, qui n’est pas catholique et qui se dit une scientifique indécrottable, réussit à se mettre au diapason des valeurs religieuses et culturelles de l’histoire contemporaine du Québec, sans cacher une réelle admiration. Son deuxième roman, Le Silence de Mozart, déterre un pan de l’histoire québécoise à partir des années trente. Elle conte et réhabilite à travers une histoire de famille les réalisations d’une petite communauté de frères qui dirige un orphelinat et un camp d’été à Huberdeau, au bord d’un lac dans les Laurentides où le chant des oiseaux donne le ton. Pour beaucoup de jeunes, les années rudes mais toniques passées au pensionnat sous la conduite des frères ont été leur planche de salut et un tremplin vers la vie adulte. En filigrane, l’Opus 106 de Beethoven et les refrains de La Bonne chanson, que le lecteur redécouvre comme très beaux, parcourent le récit.

Le roman de Vania part sans doute d’histoires entendues dans son cabinet, lors de veillées traditionnelles ou à l’occasion de simples jasettes avec les voisins. Cet enracinement ne trompe pas. L’auteure campe entre autres la superbe figure du frère Marcel, solide comme un bûcheron, homme de bon sens et en même temps mystique, « Les lumières. Les lumières que j’avais vues danser si souvent autour de l’autel pendant la messe. » Elle décrit aussi une scène où le frère Laurent casse la figure à un confrère qu’il vient de surprendre en train d’abuser d’un enfant. Ce criminel est expulsé sur le champ. On voit que Vania ne se bouche pas les yeux devant cette réalité, sans généraliser. Elle sait qu’il y a eu des cas d’abus de pouvoir de part de certains religieux, et que d’autres ont « défroqué ». Mais elle est convaincue que l’orphelinat et le camp de vacances de la Communauté des frères de la Miséricorde ont répondu à un énorme besoin et souvent de façon héroïque. « Les Orphelins de Duplessis » n’ont aucun droit d’exclusivité sur la description de cette époque.

En lisant ce beau roman de Vania Jimenez, on ne se douterait jamais que l’auteure n’est arrivée au Québec qu’à l’âge de dix-huit ans, tant elle est familière de la culture de ce pays sous toutes ses formes. Et quel romancier aurait l’audace de présenter l’énorme impact qu’a exercé La Bonne chanson et l’influence d’une communauté religieuse sur les mentalités québécoises à une époque pas si lointaine ?
Pourquoi d’autres immigrants ne pourraient-ils pas, à travers des œuvres de fiction, aider les Québécois d’ici à jeter un nouveau regard sur leur histoire ?

«… Quand le vent soufflera sur la verte prairie…
Nous irons écouter la chanson des blés d’or… »

JIMENEZ, Vania. Le Silence de Mozart, Montréal, Québec Amérique, 2005, 377 p.

JIMENEZ, Vania. Le Seigneur de l’oreille, Montréal, Hurtubise HMH, 2003, 544 p.

Cet article est paru dans l'édition Été 2006 du Jumelé

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