mardi 7 août 2007

« Pour une jeune Noire, se découvrir gaie c’est la fin du monde ! » Dépasser le cumul des rejets

Blandine PHILIPPE



Née au Québec de parents immigrants haïtiens, Vanessa Dorvily a grandi dans le quartier Villeray à Montréal. Après des études en secrétariat puis en programmation, elle se consacre aujourd’hui à plusieurs de ses passions, soient l’animation, la promotion d’événements et la chanson.
L’esprit alerte et le regard franc, Vanessa a souhaité partager son parcours et ses réflexions de femme, aujourd’hui libre, libérée et engagée. Le chemin n’a pas été facile pour cette jeune québécoise de 32 ans, homosexuelle, à la peau d’ébène, issue d’un milieu familial profondément religieux.
« Avec la religion, qu’elle soit catholique, protestante ou autre - expose Vanessa - on n’est pas libre de se poser la question de son identité sexuelle, parce que l’on n’a tout simplement pas le choix de ne pas être hétérosexuel. »

En tant que Noire, on a déjà beaucoup de discrimination à notre actif.
Y ajouter l’homosexualité, c’est un surcroît de discrimination dont on ne veut pas.



Baignée dans le mouvement des Témoins de Jéhovah dès l’âge de six ans, Vanessa suit les pas de sa mère, une fidèle pratiquante. Elle se marie à 23 ans avec un jeune homme de son âge, également Témoin de Jéhovah.
Puis, progessivement, tout se bouscule dans la tête et dans le cœur de la jeune femme. Elle découvre un sentiment nouveau qui ne la quittera plus : elle devient amoureuse d’une autre femme. Pendant dix-huit mois elle se débat en solitaire avec cette sensibilité naissante qu’elle souhaite rejeter. Mais ce déni se transforme en cauchemar, sous l’emprise de l’alcool. Vanessa tente de se confier aux « anciens » de son Église, d’obtenir leur soutien, leurs conseils, mais en vain. « Selon eux ils ne pouvaient rien faire. Il ne pouvaient aider que les personnes qui en avaient réellement besoin (!) » regrette-t-elle.

Sa crise d’identité sexuelle devient profonde et s’ajoute aux autres questionnements identitaires auxquels elle se trouve confrontée, notamment celui de sa culture néo-québécoise : « en tant que Noire, on a déjà beaucoup de discrimination à notre actif… Y ajouter l’homosexualité, c’est un surcroît de discrimination dont on ne veut pas. »

Le coming-out ?... C'est, pour Vanessa, se poser la question autrement: « est-ce que je vais mourir d'un cancer à 30 ans ou à 90 ans ? Il est clair pour moi que si je n’étais pas sortie du placard je serais morte à 30 ans en sombrant dans l'alcool ou en me suicidant. Je me suis donc assurée une survie, je me suis assurée de vivre dans le respect de ma personne et de ceux que j’aime. Même si cela a été extrêmement difficile. »
À 26 ans, Vanessa recommence sa vie à zéro.
Elle laisse derrière elle non seulement un mari, mais aussi un père qui l’évite et la rejète en silence et une mère qui cesse à son tour de lui parler.

S’engager dans des groupes de sensibilisation homosexuelle et ethnoculturelle.



Émotionnellement très fatiguée, « fatiguée de l’âme » comme elle le précise, Vanessa parcourera sa propre traversée du désert avec le soutien d’un thérapeute. Une seconde naissance l’attendra quelques années plus tard, nourrie par la reconstruction progressive de la confiance en elle-même et les autres.

« Si d’avantage de personnes s’étaient senties responsables avant moi et avaient fait leur coming-out, ç’aurait été plus facile dans mon cas. Aujourd’hui je me sens responsable : il est anormal que tant de jeunes souffrent et se suicident parce qu’ils sont homosexuels. Pour une jeune Noire, se découvrir gaie, c’est la fin du monde ! »

Depuis maintenant cinq ans Vanessa s’apprivoise en tant qu’être humain et en tant que femme, prête à s’accepter telle qu’elle est, et s’accordant le droit de vivre les choses qu’elle n’osait pas jusqu’à présent expérimenter, comme le chant par exemple.
C’est une jeune femme certainement épanouie mais aussi révoltée, qui choisit de s’engager dans des groupes de sensibilisation homosexuelle et ethnoculturelle.

Ses implications se multiplient, d’abord au GRIS (Groupe de Recherche et d’Intervention Sociale gaies et lesbiennes de Montréal), puis à la coalition MultiMundo (regroupement d’organismes communautaires et de membres individuels de Montréal travaillant avec une clientèle LGBT (1) appartenant à des communautés ethnoculturelles) et également sur le comité scientifique de la conférence internationale des Outgames.
En parallèle, Vanessa tente de mettre sur pied Perspective ébène de Montréal, afin de créer un mouvement rassembleur pour la communauté LGBT afro-caraïbo-québécoise, …mais en vain.
« Au sein de la communauté gaie et lesbienne il y a du rejet et du racisme – dénonce Vanessa. Beaucoup choisissent alors de vivre dans leur bulle, de se cacher et de ne pas s’exposer. La problématique vécue par les Noirs est sans doute la plus grande. Aujourd’hui encore par exemple, si le magazine Fugues présente la photo d’un homme de couleur noire sur son front-page, les numéros s’écoulent nettement moins dans les présentoirs et certains lecteurs vont jusqu’à se désabonner. Ajoutez à cela la difficulté pour les femmes de faire leur place au sein de la communauté gaie… Le cumul des rejets peut alors créer beaucoup de détresse chez les personnes LGBT ethnoculturelles. »

Au delà même de la question homosexuelle, il est clair à présent pour Vanessa que les Noirs doivent apprendre à être plus solidaires entre eux. Le racisme intérieur constitue une entrave flagrante à la lutte contre la situation discriminatoire ressentie et vécue. « On est trop divisé entre nous. Africains, Haïtiens, Jamaïcains, Noirs anglophones, tous semblons nous détester. »
L’amertume et l’inquiétude ombragent soudainement son regard : « Comment se fait-il que la population Noire, ici, immigrée pour certains depuis les années 1850, soit incapable de prendre sa place ? Il y a un réel problème, malgré toutes les initiatives et volontés militantes qui ont été prises. Aux Etats-Unis et en Angleterre, les Noirs se soutiennent et sont parvenus à créer de véritables mouvements. Mais ici, on n’y arrive pas, on semble s’entre-déchirer. »

L’espoir de Vanessa? Que davantage de personnes issues des minorités culturelles fassent des sorties publiques. Montrer, parler, nommer. Prendre le temps de dire ou d’écrire. Faire son coming-out comme Vanessa l’a fait il y a cinq ans, c’est sans aucun doute dépasser ses propres résistances, et c’est en même temps donner l’occasion aux autres – famille, amis, société - de dépasser les leurs pour transcender le déni qui crée tant de douleur. Savoir que l’on peut vivre autrement est dans ce cas-ci et pour la plupart des personnes, une très grande délivrance.


(1) LGBT : lesbiennes, gais, bisexuels, transsexuels

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