jeudi 30 août 2007

Quand on est bien chez soi, on ne bouge pas
Entrevoir le sens caché de l'immigration

Propos recueillis par Blandine PHILIPPE
















Gilles Placet, thérapeute et consultant en sciences humaines formé aux thérapies comportementales et familiales

Lorsqu’il vient au Québec présenter des conférences ou animer des ateliers de formation, Gilles Placet entame toujours son propos par un message d’excuses. Au nom de ses ancêtres français, il tient à offrir ses excuses… S’excuser pour les souffrances occasionnées aux femmes et aux hommes qui se sont sentis abandonnés par leur Terre-mère, la France, quelques siècles auparavant. Le propos peut paraître surprenant, voire déroutant !
Et pourtant, du point de vue de la psychogénéalogie (voir définition en fin d'article) et de la pychosociologie cet « abandon » aurait crée un sentiment de dévalorisation collective et de rejet chez les premiers habitants de la Nouvelle France, transmis de génération en génération, sous la forme d’héritages inconscients.


Je me souviens


Quand des individus ou des gouvernements expriment et transmettent ainsi avec conscience leurs excuses au nom d’un peuple, face aux souffrances que celui-ci a pu engendrer sur un autre, l’engagement compréhensif permet de nommer et de donner toute sa signifiance aux blessures du passé pour en désamorcer la portée. Humainement, la démarche est nécessaire pour procéder à la guérison individuelle et collective.
Ensuite, l’important sera d’oublier le « maudit français » si l’on est un Québécois, ou le « maudit colon » si l’on est un Amérindien, et de passer à autre chose !
L’ordre des choses voudrait que l’on vive là où l’on est né.

Quand on est bien chez soi, on ne bouge pas.


Dans la grande majorité des cas, le processus migratoire se fait quand le territoire de naissance – la Terre-mère - ne peut plus nourrir l’individu, à quelque niveau que ce soit, matériellement ou symboliquement. Au même titre que le réfugié cherche dans l’urgence une terre d’asile, le mal aimé immigre lui aussi pour fuir.

La notion d’immigration réfère donc toujours à de grandes blessures forçant l’individu, homme ou femme, à se couper de son pays, de son groupe d’appartenance et donc de ses racines.
Même volontaire et a priori choisie dans la joie (rencontre amoureuse, stage professionnel, goût de l’aventure, etc.) l’immigration cache presque toujours de grandes souffrances. Celles-ci peuvent être vécues consciemment comme elles peuvent être véhiculées inconsciemment en étant transmises jusqu’à soi par la lignée familiale. La mémoire des blessures opère avec force et malice…
En prendre conscience, c’est se permettre de rétablir des ponts.
Dans sa pratique professionnelle, Gilles Placet a ainsi pu observer plusieurs de ses patients immigrants rentrer presque soudainement au pays : ils comprenaient, par leur démarche introspective et reflexive, qu’ils n’avaient pas « voulu » cette immigration mais qu’ils fuyaient davantage un conflit - une situation familiale devenue insoutenable par exemple - sans même en être conscients au moment de leur exil.

Quand la cause de l’immigration est la souffrance, il est clair que l’on n’immigre pas librement. Et parce qu’ils ne sont pas réellement libres, la très grande majorité des immigrants choisissent justement une terre d’accueil capable de faire écho à cette quête de liberté.
Le Québec semble offrir et représenter cet idéal de liberté à bien des registres et notamment par ses dispositions géographiques et entrepreneuriales (grands espaces, facilités à créer et à démarrer des projets, etc.). À sa source, il est incontestable pour Gilles Placet que l’histoire amérindienne aura su y insuffler cette énergie et cette notion significative de Terre-mère qui y est très forte. En ce sens, notre pays aurait de facto, et depuis fort longtemps, cette vocation à recevoir et accueillir, malgré toutes les contraintes liées à la rigueur, voire à l’hostilité, de son climat par exemple.

Immigrer est un défi de l’âme : grandir hors du pays fait les hommes et les femmes qu’ils sont devenus.


Les événements de la vie, individuels et collectifs, forcent des mouvements migratoires.
De ce fait, pour réussir hors de chez soi, cette immigration oblige aux qualités et aux talents. C’est un réel combat, au travers de ses blessures, forçant à l’adapatabilité : adaptabilité aux milieux physiques, sociaux, culturels ou encore environnementaux, mais aussi adaptabilité d’opportunisme nécessaire à la survie.

Se pencher sur ces logiques, ici schématisées, c’est se donner des outils et des moyens pour comprendre les mécanismes qui animent les choix posés et mettre à jour les buts cachés. Comprendre pourquoi on est parti (ou pourquoi ils sont partis) permet souvent de faire la paix avec le pays d’origine et avec soi-même. Réaliser ce travail personnel pour panser ses blessures (les siennes comme celles transmises dans notre lignée familiale et dont on hérite) offre l’occasion de les reclasser par rapport à la notion d’abandon et du même coup de se libérer.

Psychogénéalogie:
La psychogénéalogie peut être définie comme une méthode de psychanalyse qui consiste à rechercher dans le vécu de nos ancêtres les sources de nos éventuels troubles psychologiques, comportements et/ou maladies actuelles.
C’est Anne Ancelin Schützenberger qui revendique la création, il y a une trentaine d’années, de ce néologisme, associant les deux vocables : généalogie et psychologie. Anne Ancelin a dirigé pendant une vingtaine d’année le laboratoire de psychologie sociale et clinique de l’Université de Nice. Elle a synthétisé le résultat de ses observations et développé sa théorie psychogénéalogique dans son livre Aïe, mes aïeux !, publié dans le monde entier et devenu best-seller.



Cet article est paru dans l'édition hiver 2007 du Jumelé.

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