samedi 18 août 2007

Mamies immigrantes "hyperactives"

Anouk LANOUETTE-TURGEON











Une mamie immigrante s’attaque à l’isolement de ses consœurs du troisième âge


Henriette Nzuji Ntumba, d’origine congolaise, arrive au Québec en 2000 pour s’occuper des enfants de sa fille, tombée malade. C’était dans l’intention de Mamie Henriette, menant une vie très active au Congo, de venir passer seulement quelque temps ici. En fait, à la demande du médecin de sa fille, elle n’est jamais repartie. Au Congo on dirait :

elle est partie de chez elle « sans fermer la porte ».


Sans préparation, ce déracinement s’est révélé très douloureux, voire déchirant.

Au Congo, après avoir élevé sa famille, Henriette avait décidé de se consacrer à la communauté. Ayant perdu son mari, elle a créé une association de femmes veuves. « Là-bas, explique-t-elle, les veuves font souvent l’objet de critiques, comme si elles étaient coupables de la mort de leur mari. Elles perdent alors l’estime d’elles-mêmes et se retrouvent très seules. » Henriette a donc mis sur pied un réseau d’entraide qui a permis à ces femmes de sortir de leur isolement et aussi de la misère matérielle, les deux allant souvent de pair. « Ma devise a toujours été l’autonomie financière! », précise-t-elle.

Une fois à Montréal, mamie Henriette ne tarde pas à faire un constat amer au sujet des femmes immigrantes de son âge : toutes les portes leur sont fermées, à cause de leur âge avancé.

Déjà, pour un Québécois de souche ayant perdu son emploi à 50 ou 55 ans, il est presque impossible de se trouver un autre travail.


Imaginez pour un immigrant...

Il faut reconnaître qu’en Amérique du Nord – comme ailleurs en Occident – les personnes âgées sont souvent considérées comme incapables d’un apport constructif à la société. Elles sont plutôt ignorées et exclues et cette situation est doublement vraie pour les immigrants.

En outre, n’ayant pas travaillé ici, les immigrants âgés n’ont droit à aucune pension de retraite, de sorte qu’ils vivotent très souvent dans la pauvreté, au crochet de leurs enfants. La dépendance s’ajoute alors à l’isolement. Et non seulement ils doivent, comme tous les immigrants, surmonter les difficultés liées au changement de climat, à une autre langue et à une nouvelle culture, mais leur solitude est encore aggravée par la mentalité individualiste. Quand on est habitué de parler à tous les habitants de son voisinage, on vit un véritable choc en arrivant ici. « C’est chacun pour soi; on ne connaît pas ses voisins, et dès que l’on veut demander une information à un passant dans la rue par exemple, il a l’air de vouloir se sauver; on se rend compte que les gens sont méfiants! », nous fait remarquer mamie Henriette. Pour les nombreux arrivants issus de sociétés plus traditionnelles, il est éprouvant de s’adapter à ce nouveau style de vie occidentalo-urbain.

Bref, Henriette a constaté que beaucoup de femmes immigrantes de son âge « sont isolées et exclues, au lieu d’être intégrées; souvent, elles sont inactives alors qu’elles ont travaillé toute leur vie et sont encore en pleine forme ».

Accepter la passivité ? Pas question ! dit mamie Henriette. En tout cas, pas pour elle, ni pour la centaine de mamies
membres de son association... Elles disent « Non à l’immobilisme! ».


Alors que font exactement ces Mamies immigrantes pour le développement et l’intégration (MIDI)? En fait, l’organisation a deux types de mandats. D’une part, elle offre un service d’information, d’aiguillage et d’accompagnement pour les personnes âgées immigrantes qui n’ont pas encore découvert les ressources disponibles, ou ignorent leurs droits et privilèges en tant que citoyennes (séances d’information sur les services de santé, sécurité financière, services d’interprétariat, accompagnement chez le médecin ou à l’épicerie, etc.).

D’autre part, et c’est là que MIDI devient encore plus intéressant et original, les mamies immigrantes se regroupent pour faire valoir leurs talents personnels au sein de la communauté. Ainsi, elles se rendent dans les écoles pour conter des histoires aux enfants, font de la couture, de la cuisine, de l’humour...et même du théâtre! Les mamies vous offrent aussi de garder vos tout petits – imaginez-les en train d’écouter des contes et des berceuses de pays lointains! Quelle idée splendide! « C’est aussi un moyen très efficace de lutter contre le racisme sur le terrain, parce que ces enfants-là, en nouant un lien privilégié avec nous, ne seront pas disposés à devenir racistes plus tard... Quand on apprend à connaître quelqu’un, les fausses idées et les préjugés disparaissent ».

Mamie Henriette insiste aussi sur l’objectif d’établir des liens avec les générations plus jeunes :

« Chez nous au Congo, on dit : une personne âgée est une véritable bibliothèque. Elle est très importante au sein de la communauté. Il faut donc établir des liens entre les jeunes et leurs aînés. Quand on coupe les racines d’un arbre, ne va-t-il pas mourir ? »


En d’autres mots, l’exclusion des personnes âgées tue la transmission intergénérationnelle et cause notre perte. En Occident, on a le malheur d’oublier cette vérité... Alors, pourquoi ne pas solliciter tout de suite un rendez-vous avec la mamie-la-plus-proche-de-chez-vous pour lui présenter vos enfants?

Pour informations supplémentaires :
Mamies immigrantes pour le développement et l’intégration
(514) 762-9808 lesmamies@yahoo.fr

Cet article est paru dans l'édition Été 2006 du Jumelé.