mercredi 8 août 2007

Rencontre avec Marie-Claire Rufagari
Comment jeter des ponts entre deux rives

Frans VAN DUN



Quel privilège que de pouvoir rencontrer Marie-Claire Rufagari !
Tantôt confrontée dans son parcours à des attitudes de fermeture, tantôt confortée par des gens accueillants, riche d’une pensée confrontée aux expériences concrètes et quotidiennes en plus d’un pays, Marie-Claire, originaire du Congo et du Rwanda, était prédestinée à ses fonctions actuelles au sein de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI).

Voici les axes principaux qui se dégagent de sa vision de l’immigration au Québec.

Constat : le visage du Québec a changé et sa transformation se poursuit en s’accélérant



Dans les grandes villes du Québec, et particulièrement à Montréal, nous arrivent chaque année des dizaines de milliers d’immigrants. Dans la métropole seulement, on parle de plus de 35 000 Néo-Québécois d’une multiplicité d’origines. Dans une dizaine d’années, cela représentera plus que la population d’une ville comme Laval par exemple, sans compter les nombreux enfants à naître.
Ces vagues d’immigrants ne sont en grande partie que la réponse aux appels du Québec, lancés à tout vent aux quatre coins de la planète, et plus particulièrement dans les pays où la langue française est comprise, enseignée et parlée. Pensons à plusieurs pays d’Afrique, particulièrement du Maghreb. Ces appels se justifient d’ailleurs par des besoins de notre société telle une faible démographie et une pénurie de main d’œuvre qualifiée.

Le caractère pluriel de la société Québécoise devrait se refléter dans les pratiques et dans les institutions



On entend nombre de Québécois dire : « C’est eux qui viennent s’installer ici, c’est à eux de s’adapter. Qu’ils se comportent comme les gens d’ici ! »

Cet énoncé a du bon sens… à 50 %. L’autre 50 % va dans le sens inverse car l’intégration est un phénomène bidirectionnel. Il est vrai que les immigrants sont appelés à s’intégrer à la société québécoise sans renoncer à leur identité. Le nouvel arrivant doit d’abord s’ouvrir les yeux et les oreilles, au besoin apprendre la langue française et progressivement occuper sa place au sein de la société québécoise. Mais cette société, au lieu de lui opposer des portes barrées à double tour ou tout juste entrouvertes, a la responsabilité logique de lui souhaiter la bienvenue, de se montrer accueillante et de l’accompagner dans son acclimatation. Ceci n’est possible que si toutes les sphères de notre société tiennent compte des divers changements inhérents à la migration, s’y adaptent en créant un climat favorable à l’adaptation et l’inclusion de nos nouveaux concitoyens.
Pour vivre ensemble en paix et résoudre des problèmes, il faut une ouverture d’esprit et la capacité de nous mettre à la place de l’autre.

On entendait jadis un slogan publicitaire pour la bière : « On est six millions, il faut se parler ». Et parler, ce n’est pas se crier des noms. Il faut créer un climat de proximité et découvrir que dans une société plurielle, le dialogue est incontournable. Ça peut commencer par un timide bonjour, se continuer par un petit café ou un verre de thé, et aboutir à une invitation réciproque. Finalement, ces contacts peuvent devenir une sorte de jumelage. Au fil des rencontres, la famille québécoise découvre avec ébahissement le parcours d’une famille de réfugiés qui a dû traverser des obstacles inimaginables. Il naît alors un sentiment d’admiration et de respect et une question surgit : aurions-nous été capables d’affronter et de traverser tant d’obstacles durant des années sans jamais lâcher ? Chaque histoire pourrait faire l’objet d’un scénario.

Ce genre de rencontres existe. Il faut s’en réjouir. Mais elles sont encore l’exception. Le jumelage développé dans les organismes communautaires et qui favorisait ce genre de rencontre se fait de plus en plus rare faute de financement.
Jusqu’en 2004, le gouvernement donnait une subvention pour la mise en place de ces jumelages qui peuvent faire tache d’huile. Depuis lors malheureusement, la source a tari malgré leur importance.

La diversité dans les milieux des pratiques



La TCRI est un regroupement de 130 organismes communautaires voués à la défense des droits et au soutien des personnes réfugiées et immigrantes à travers le Québec.

Les équipes d’intervenants de chaque organisme sont la plupart du temps multiculturelles, ce qui est un atout majeur pour l’intervention. Elles se trouvent confrontées à des défis de taille, car elles œuvrent à la jointure d’une minorité qui arrive et d’une majorité qui reçoit, dans le dessein d’assurer un va-et-vient fluide entre ces deux mondes. Ces intervenants sont toujours intéressés par les initiatives qui permettent de mieux cerner les réalités des personnes réfugiées et immigrantes et d’identifier des pistes porteuses de solutions quant au développement de meilleures pratiques d’intervention. Les pratiques développées ces dernières années suscitent un intérêt grandissant des autres institutions et des milieux académiques.

C’est pour répondre à leur besoin de formation que la TCRI offre des ateliers et des sessions à Montréal et en région. Ces rencontres constituent des espaces de réflexion et de dialogue qui favorisent un partage des savoirs diversifiés.
Or, la responsable de ce volet « formation » est Marie-Claire Rufagari. Elle parle volontiers et abondamment de son approche. Retenons-en un ou deux leitmotivs.

L’immigrant qui quitte son pays natal et son environnement familier subit un véritable choc culturel. Il est parachuté dans un monde nouveau, dont il doit trouver les clefs et dont il doit parler la langue. Et cet affrontement ne peut que le conduire à une interrogation sur son identité : que peut-il délester, que faut-il sauvegarder au risque de se perdre ?

La personne en face se trouve confrontée au même dilemme : ce nouvel arrivant, ce vis-à-vis d’un autre pays, d’une autre religion et d’autres coutumes qui devient mon voisin ou mon collègue de travail, m’interpelle. Certains aspects de sa personnalité me posent question ou m’attirent. Comment me risquer sur son terrain ?

Une rencontre superficielle ne pose pas de problème. Manger un couscous ensemble est bien sympathique et ne soulève pas de questionnements existentiels, mais une rencontre en profondeur risque de provoquer une crise, un recul, un blocage ou une fermeture. C’est à ce niveau que l’intervenant est appelé à agir comme médiateur pour sauver une ouverture réciproque et un lien prometteur sans que l’un ou l’autre renonce à sa propre identité, religion ou culture. Chacun peut accepter et respecter l’altérité tout en se sentant enrichi de l’apport de l’autre. Pour la société, une plus-value.

Comme toile fond, l’intervenant doit connaître son propre cadre de référence. Mais cette connaissance est loin d’être suffisante. Il lui importe de faire un travail sur sa propre identité, être à l’aise dans la rencontre interpersonnelle sans se sentir menacé. Savoir aussi que, derrière une façade de musulmane ou d’hindoue, il y a une personne avec son histoire unique et sa trajectoire. Dans le fond, l’intervenant va découvrir et pourra transmettre la conviction qu’une rencontre en profondeur entre deux personnes, malgré la différence de culture et d’origine, comporte un caractère universel. Parlons ici d’ « humanitude ».

En ce domaine d’ailleurs, les approches s’affinent et se nuancent. Marie-Claire se sent proche de Margalit Cohen-Emerique qui parle de Médiateurs interculturels, passerelles d’identités.
Dans cette perspective, des amitiés peuvent se développer. Mais les intervenants peuvent viser aussi l’émergence des espaces de dialogue entre personnes ou familles des deux univers, ce qui comporte la notion d’accompagnement, d’initiation au côté pratique et quotidien de la vie.


Conclusion



La société québécoise se trouve devant un des plus grands défis de son histoire : accueillir, d’année en année, un nombre imposant et grandissant de nouveaux arrivants qu’il faut réussir à répartir sur tout le territoire québécois et intégrer à sa population. En est-elle vraiment consciente ? Si on cherche la réponse dans les programmes et les discours des partis politiques et de leurs chefs, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Une réflexion de fond s’impose.

À l’heure de la mondialisation, de nouveaux métissages sont à inventer. Tâche immense, ardue, mais combien emballante !


Marie-Claire Rufagari œuvre dans le domaine de l’intervention interculturelle et de l’immigration depuis plus de dix ans. Elle détient deux maîtrises, la première en relations publiques et l’autre en psychologie relationnelle.
Elle est coordonnatrice du volet formation à la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) depuis 1995, coordonnatrice de la formation pour le Service d’éducation et d’intégration interculturelle de Montréal (SEIIM) depuis 2002 et membre du comité aviseur sur l’accessibilité des services aux communautés ethnoculturelles, Centre jeunesse de Montréal. Marie-Claire possède plus de dix ans d’expérience en coordination de projets et sessions de formation ainsi que dans le développement des programmes et du matériel de formation sur les relations interculturelles. Comme chargée de cours à l’UQAM en travail social, elle a enseigné pendant trois ans le cours « Modèles d’intervention et relations interethniques ».


Cet article est paru dans l'édition Printemps 2007 du Jumelé.

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