mercredi 26 septembre 2007

Dialogue interculturel et intergénérationnel
Aborder le malaise identitaire

Karoline TRUCHON





Rassembler des jeunes pour discuter d’un sujet qui semble à priori loin de leurs préoccupations est un défi en soi. Réunir des adultes avec ces mêmes jeunes pour dialoguer ensemble peut s’avérer encore plus difficile. C’est pourtant ce qu’est parvenu à accomplir l’Institut interculturel de Montréal (IIM) avec le projet « Malaise identitaire chez les jeunes des communautés ethnoculturelles de Montréal. Un projet d’action et de développement des ressources communautaires ».

Réalisé sur une période de trois ans (2003 à 2006) , ce projet de recherche-action visait à faire prendre conscience aux jeunes eux-mêmes et aux acteurs sociaux concernés, du malaise identitaire des jeunes des communautés ethnoculturelles, dans le but de contribuer à une meilleure prise en charge des jeunes par eux-mêmes et par les ressources familiales, communautaires et publiques.

« Nos recherches-actions et nos diverses activités nous ont amené à comprendre que l’identité est souvent au cœur des problèmes vécus par les jeunes des communautés ethnoculturelles, mais que cette préoccupation identitaire est rarement nommée, ni par eux, ni par les adultes significatifs de leur entourage », souligne Kalpana Das, directrice générale de l’Institut interculturel de Montréal. « Si le malaise identitaire est certainement un des facteurs de risque de criminalité juvénile, il peut aussi servir d’outil de compréhension des jeunes en difficulté. Ainsi, le malaise identitaire peut agir comme une clé importante dans le processus de relation d’aide et d’intervention auprès des jeunes des communautés ethnoculturelles et c’est ce que nous avons tenté de faire avec ce projet. »

Les activités du projet de recherche action


Lors de la première phase du projet, l’IIM a établi des partenariats avec quatre organismes travaillant avec quatre communautés que le projet souhaitait rejoindre : latino-américaine, haїtienne, asiatique (chinoise) et québécoise de souche francophone. Ce partenariat a généré quatre forums qui ont rassemblé 110 jeunes et 60 parents. Ensemble, ils ont exploré six sous-thèmes, soit l’identité, la marginalité, les rapports avec la famille, les expériences des adultes, les ressources pour faire face et les pistes de prévention.
La deuxième phase du projet a permis d’entreprendre avec des ressources communautaires et publiques des actions de mobilisation et de sensibilisation qui ont débouché sur des pistes de prévention des comportements antisociaux pouvant mener au crime, ainsi que des modalités pratiques de prise en charge de jeunes déjà engagés dans la zone à risque.
Enfin, pour clore le projet, un colloque interculturel a présenté les résultats des forums et les activités d’organismes qui tiennent compte de la question de l’identité dans leur programmation.

L’expérience et la reconnaissance du « malaise identitaire »


Dans les faits, le malaise identitaire se manifeste à l’intersection des identités multiples, du double système de valeurs, des références et des modèles souvent contradictoires et des expériences parfois déchirantes des jeunes, mais aussi des parents et autres adultes de leur entourage. Pour les jeunes, même s’ils ne verbalisent pas le terme « malaise identitaire », ils l’expriment par leurs paroles en spécifiant être partagés entre leur culture d’origine et leur culture d’accueil. Critiquant et louangeant l’une et l’autre, ils arrivent difficilement à concilier les deux cultures de façon positive. Certains affirment ne pas connaître leur place au sein de l’une ou l’autre, car ils sont un peu des deux. C’est à travers divers conflits avec leur famille (mauvaise communication, parents trop autoritaires, valeurs divergentes), leurs pairs (acceptation ou rejet d’un groupe selon des critères ethniques ou vestimentaires) et la société (exclusion, discrimination dans le monde du travail, racisme) que ce malaise s’extériorise. Les propos véhiculés par les jeunes des communautés ethnoculturelles rencontrés s’inscrivent dans un registre d’accusation les sacrant victimes d’un monde injuste. Se révolter devient donc une solution pour se délivrer de cette injustice, en fuguant de la maison, en décrochant de l’école, en adhérant aux gangs de rue qui eux « les comprennent » et leur permettent d’accéder à une certaine richesse par des activités criminelles.

La délicate position parentale


Si les jeunes vivent au quotidien le malaise identitaire sans comprendre ses sources et ses conséquences, les parents vivent aussi leur propre malaise identitaire sans le nommer et comprennent difficilement le vécu de leurs jeunes. Désemparés devant le manque de respect de leurs enfants, manquement qu’ils estiment causé par une société d’accueil trop axée sur la liberté, les droits et l’autonomie, les parents sentent qu’ils doivent lutter sans cesse pour leur transmettre les valeurs de la culture d’origine qu’ils sentent menacée. Voir échouer leurs enfants en qui ils plaçaient leurs espoirs en quittant le pays d’origine devient un drame terrible pour des parents qui vivent aussi un malaise identitaire, car confrontés au choc culturel, au désir de s’intégrer sans perdre leur identité et à l’expérience de la discrimination.

Les pairs-aidants comme piste de solution


« Nous autres jeunes, on va mieux accueillir les conseils de quelqu’un qui est comme nous. Ça passe mieux : en voyant un jeune comme toi qui te raconte par où il est passé, son témoignage peut aider ». - Un des jeunes participants

Pour donner suite à cette recherche-action, l’IIM s’est servi des paroles des jeunes afin de développer un projet de pairs-leaders (*). « Le but du projet est de développer le leadership d’un groupe de jeunes adultes (pairs aidants) des communautés haïtienne et latino-américaine pour qu'ils aident d’autres jeunes à risque, en vue de prévenir la dérive vers les comportements antisociaux pouvant mener à la criminalité (gangs de rue, drogues, etc) », conclut Mme Das. « Nous voulons recruter une équipe de huit jeunes leaders, les former et les outiller sur la prévention de la criminalité remontant au malaise identitaire, afin qu’ils agissent comme pairs-aidants auprès des jeunes à risque et qu’ils animent des ateliers auprès des parents, ainsi qu’auprès des milieux policiers et scolaires. Les pairs sélectionnés pour faire partie de cette équipe seront des jeunes qui ont traversé eux-mêmes certaines difficultés identitaires à l’adolescence et qui ont cheminé depuis. »

(*) Le projet de pairs-leaders est actuellement en cours de financement.


Photos: Conversation détendue et souriante entre ces jeunes étudiants de 15 et 16 ans, camarades depuis la classe de maternelle: Sarah Yahyaoui née au Québec d'une mère Québécoise et d'un père Marocain, Noëlle Jean-Vanasse née en Haïti et Alexis Plourde, Québécois de souche plus ancienne.


Cet article est paru dans l'édition Printemps 2007 du Jumelé.

Aucun commentaire: