jeudi 11 octobre 2007

L’oublié de Saint-Laurent

Florence SALLENAVE


Mohamed vient de fêter pour la 4ème fois la fête de la Reine au Québec.
Mohamed est arrivé du Maroc en août 2003, seul, sa femme et sa fille étant restées à Casablanca en attente du visa de résidence permanente. Et puis Mohamed ne savait pas si ça lui plairait Montréal. Son cousin lui avait souvent dit au téléphone: « Tu verras les hivers sont longs et froids mais on a une belle vie. Tu auras du travail facilement et tu pourras loger chez moi au début, en attendant que tu te trouves un appartement assez grand pour accueillir ta femme et ta fille. »
Dès son arrivée à Montréal, Mohamed n’avait qu’une idée en tête, trouver un emploi, n’importe quel emploi. Après tout ce serait toujours aussi bien que « pas de boulot au Maroc ». Et puis Soumia attendait quelques dollars pour vivre enfin décemment dans sa banlieue de Casablanca. Mohamed lui avait promis de lui expédier de l’argent dès qu’il recevrait sa première paye. La situation devenait urgente car les économies du couple avaient fondu dans le billet d’avion et quelque argent pour l’installation de Mohamed à Montréal. Son cousin n’était pas pour pour le nourrir aussi vu qu’il l’hébergeait déjà gratuitement.
Mohamed aurait pu attendre de trouver un emploi en relation avec sa maîtrise en économie obtenue en 2000 à l’université Hassan II de Casablanca . Il avait de quoi attendre quelques mois puis s’inscrire au CLE de saint Laurent et toucher les allocations de Revenu Québec.
Mais Soumia attendait un peu d’argent pour offrir quelques vêtements neufs à sa fille. S'il avait décidé d’attendre, il aurait pu bénéficier des services d’organismes en employabilité pour l’aider à affronter le marché du travail. Mais Mohamed, pressé de travailler à fait un autre choix. Grâce à son cousin, il a trouvé, un poste à temps plein dans une entreprise de fabrication de Saint-Laurent. Pas le poste de rêve, non, le poste qui vous laisse l’esprit libre le jour mais le corps terrassé de fatigue à la fin de votre quart de travail. 9$ pour démarrer 10$ au bout d’un an avec la promesse d’un emploi plus intéressant si tout se passe bien.
Depuis 3 ans Mohamed contrôle la qualité des produits. La première année il rangeait les brosses à linge dans des caisses en carton, prêtes à être envoyées à l’expédition.
Quand on demande à Mohamed pourquoi il n'a pas essayé de trouver un meilleur emploi plus en concordance avec sa maîtrise, il répond que ses copains marocains sont comme lui, à des postes de 9 à 12 $ de l’heure en entreprise ou dans des restaurants.
Sans expérience canadienne dans son domaine qu’est la gestion administrative que peut-il trouver? Et puis depuis septembre 2001 quand on se prénomme Mohamed, les directeurs des ressources humaines sont rares à vous confier des postes de gestionnaires.
Alors la seule solution est de faire des économies.
Soumia et la petite Nora sont arrivées en octobre 2005 ce qui a réchauffé le cœur de Mohamed mais qui a fait fondre ses maigres économies. Mohamed a bien pensé s’inscrire à l’UQAM ou aux HEC pour obtenir un diplôme québécois mais quand il rentre le soir il est trop fatigué pour s’investir dans une telle démarche.
De plus, s’il quitte son poste de lui-même pour s’investir dans une recherche d’emploi intensive il n’est pas sûr de toucher les allocations de chômage. C’est un risque qu’il ne peut pas prendre.

Les entreprises québécoises sont pleines d’oubliés comme Mohamed qui, privés de contact avec des professionnels en employabilité, n’ont que peut d’espoir de voir leur avenir professionnel faire un virage à 360 degrés.

Pourtant si Mohamed comparait ses études avec celles des HEC ou de l’UQAM, il serait surpris de voir que les cours ne sont pas si fondamentalement différents. De plus il vient d’acquérir l’expérience d’entreprise si souvent réclamée par les patrons québécois.

Alors que fait-on? Reste t’on les bras croisés à voir les nouveaux arrivants sous utilisés par notre société d’accueil?
Le Québec manque déjà cruellement de relève. L'immigration devrait logiquement réussir à combler certains manques. Même si certains écarts dans la formation universitaire de ces oubliés existent, ils pourraient facilement être comblés par une formation courte, modulaire adaptée aux besoins de chaque nouvel arrivant possiblement payé dans le cadre du 1% de la formation par le Fonds de développement de la main d’œuvre ou tout autre programme approprié.
Si chaque nouvel arrivant pouvait recevoir des conseils individuels en réorientation professionnelle suivis d’un parcours de formation adaptée, le gouvernement ferait des économies d’échelle importantes pour ceux qui s’usent moralement à l’assurance emploi ou perdent leur temps dans des programmes universitaires coûteux et inopérants de longs mois.
Pour les besogneux cachés en entreprises, les syndicats et le patronat québécois pourraient envisager des solutions pour les salariés ainsi que des solutions compensatrices et incitatives pour les entreprises qui collaboreraient à un tel programme.

Le congé individuel de formation existe dans certains pays et permet aux salariés de se former tout en conservant leurs avantages acquis.
Pourquoi est-ce si compliqué de copier les programmes qui marchent?

Il serait tout particulièrement intéressant de faire une recherche sur le nombre d’oubliés en entreprise ainsi que sur l’utilisation de la formation continue pour promouvoir les salariés immigrants en entreprise. (Nouveaux arrivants et autres).
Comme beaucoup de ces personnes nouvellement arrivées au Québec ne connaissent pas leurs droits, il serait étonnant de voir une très grosse proportion de nouveaux arrivants parmi les bénéficiaires de la formation continue.
Dossier intéressant à développer peut-être par les partenaires du marché du travail.


Cet article est paru dans l'édition Été 2007 du Jumelé

Aucun commentaire: