jeudi 11 octobre 2007

Un lundi au boulot à Kigali

Annie LALIBERTÉ

Être Rwandaise mais n'avoir jamais vécu au Rwanda... Quitter Montréal pour joindre l'Université nationale du Rwanda, de même qu'une radio locale, le temps de retouver ses racines... C'est là le choix audacieux qu'a fait Alyce, animatrice-journaliste, au sortir de ses études de science politique à l'UQAM. Petite histoire d'un grand retour...

La semaine a été rude pour Alyce. Après avoir animé une tribune publique sur les ondes de Contact Radio, elle a passé les trois derniers jours à négocier les thèmes des prochaines émissions avec le reste de l'équipe de Génération Grands Lacs, une production hebdomadaire unissant des jeunes du Congo, du Rwanda et du Burundi autour d'un grand projet : penser une paix durable dans une région décimée par des conflits contagieux. Alyce a dû sécher ses cours de journalisme pour en arriver à tout faire. " Je suis un bourreau de travail ". Quitte à hâter le pas...

"On me reproche de marcher trop vite. C'est perçu comme une offense ici. Mais on me pardonne ce petit côté canadien".



Alyce a passé la majeure partie de sa vie à suivre ses parents fonctionnaires internationaux un peu partout autour du globe, avant de s'installer au Canada en l'an 2000. L'an passé, elle s'amène pour des vacances rwandaises, dans un pays qu'elle sait encore hanté par le génocide de 1994. " J'avais en tête les mêmes images que les Occidentaux, je m'attendais à rencontrer des personnes traumatisées, à voir de la destruction partout. J'ai eu un choc quand j'ai vu les gens rire! " L'université nationale offrait un programme de journalisme novateur, en coopération avec des journalistes canadiens. Tentée par l'aventure, Alyce a adopté sa patrie pour trois ans. Elle n'a pas tardé à joindre Radio Salus, une jeune radio en pleine effervescence appuyée par l'UNESCO, et qui est l'une des quatre radios participantes au projet Génération Grands Lacs. Un média dans l'air du temps : de nombreux donateurs internationaux investissent dans la mise sur pied de médias de paix, après le choc causé par la condamnation de journalistes pour incitation au génocide. Les besoins en journalisme sont tels que le pays n'hésite pas à faire appel aux jeunes.

Les jeunes de l'extérieur sont ceux qui poussent le plus pour changer le visage du pays. Ils revendiquent encore plus leur appartenance rwandaise, je dirais!"

Mais le contact entre la diaspora de retour et les locaux ne va pas toujours de soi.

"Les gens de l'extérieur ont parfois mauvaise image, soupire Alyce, ce n'est pas toujours rose, mais ça valait la peine de venir. Beaucoup de projets lancés ici seraient extraordinaires s'ils pouvaient compter sur des gens compétents ". La compétence, elle est bien en voie de création, témoin cette ruée locale vers les études. Mais encore faut-il combler les besoins immédiats.

"Ce qui m'a fait déchanter au bout d'un an, c'est le manque d'ouverture d'esprit, comme si l'ouverture sur le monde était strictement liée aux investissements récoltés. Il faut changer les mentalités aussi : le premier truc qui m'a frappée, c'est l'autocensure ". Les tabous sont nombreux au Rwanda : émancipation des femmes, politique, ethnicité, sexualité, sans oublier l'homosexualité, soit le sujet qu'Alyce a choisi pour son premier article de journal à l'université ! " Je ne pensais pas qu'il finirait par être publié ! Il a fallu pour ça l'intervention du rédacteur en chef " se remémore-t-elle. Mais son profil de pigeon voyageur sied bien au milieu journalistique, très prisé par les enfants de la diaspora qui en viennent à penser " global ", en fonction d'un auditoire éclaté.

Beaucoup de jeunes se demandent ce que je fais ici.

J'avais besoin de savoir où étaient mes racines.

Oui, j'ai rencontré des difficultés, mais j'ai énormément appris sur moi-même. Je n'ai fait que ça ! "

Apprendre, c'est aussi découvrir que la souffrance départage. L'étranger, même rwandais, ne porte pas les stigmates de ceux qui ont connu la réalité du génocide. Est-ce pour cela que les locaux donnent des sobriquets aux gens de la diaspora, se qualifiant eux-mêmes de "soaps" comme autant de terrains glissants?

Alyce ne sait pas. Pas encore. Elle poursuit son apprentissage. " Comme je viens d'un peu partout, on ne m'a pas encore trouvé de surnom ! "

Ce samedi-là, la jeunesse des Grands Lacs était conviée à jaser " partage du pouvoir ", entre les mieux et les mal nantis, entre les élites et les laissés pour compte. Sur dix-sept intervenants, deux femmes, un peu timides. Et Alyce, de lancer avec dynamisme : "Enfin, des femmes qui s'expriment!"

Cet article est paru dans l'édition Été 2007 du Jumelé

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