jeudi 11 octobre 2007

La cravate

Nabil DJABELKHIR

Avant propos:
Le Jumelé a déjà évoqué dans ses pages les politiques et stratégies de séduction que nos gouvernements mettent en place à l’étranger pour attirer, chez nous, des immigrants détenteurs de qualifications professionnelles dont nous aurions besoin. Par le passé, l’Europe occidentale a été très courtisée. Plus récemment, les pays du Maghreb sont très sollicités ainsi que ceux d’Amérique du Sud. Mais les agents sur place n’informeraient pas les intéressés des obstacles à l’emploi pour les diplômés. À l’heure actuelle, une grande proportion des nouveaux immigrants deviennent amers et se sentent trompés par un discours à double sens : la-bas le Québec leur déroulerait le tapis rouge, ici on ne reconnaît ni leur diplôme, ni leur expérience.
Le témoignage ci-dessous fait état d’un malaise vécu par un nouvel arrivant, diplômé, sélectionné par le Québec à l’étranger. C’est un fragment de vie, un écho parmi le florilèges d’impressions que l’on peut entendre ça et là.


Je me revois encore dans cet hôtel à Tunis, face au miroir, nouant la cravate que m’a donnée mon père tout en repensant au long parcours du combattant que je croyais alors terminé.
Je m’apprêtais à passer le fameux entretien, au terme duquel un simple « oui » ou un « non » déciderait de mon avenir. J’avais ordonné minutieusement mon acte de naissance, mes diplômes, mes expériences professionnelles, ma nationalité, bref tout ce que je suis !

Je me souviens de l’agent me posant une question qui mérite plus qu’une simple réflexion : «Que pensez-vous du Québec ? » Tout en feuilletant ma vie sans grand intérêt apparent, il s’attarda quand même sur mon compte en banque, releva la tête et me dit d’un sourire plus que satisfait « Bienvenue au Québec ! ».

Plus tard, j’ai suivi une séance d’information où des agents d’immigration nous faisaient remarquer, à mes concitoyens ainsi qu’à moi, qu’ils portaient le même bleu que celui du drapeau du Québec. Ils nous informaient sur le reste des démarches à suivre, relevées d’anecdotes déjà préparées et se lançaient des regards complices, avant de nous remettre des papiers officiels et des brochures qui nous rappellent que le Canada est un «Eldorado ». Nous avons même eu droit à une carte postale sur laquelle est inscrit « L’art de vivre au Québec ».

Le jour du grand départ, j’ai remis ma cravate pour faire plaisir à mon père et pour faire aussi bonne impression au comité d’accueil qui finalement derrière un comptoir donnait des allures d’employés de banque, le sourire en moins. Bref, il me remit une liste d’adresses d’hôtels, une carte de métro et une convocation pour une autre séance d’information au cours de laquelle, un agent très enthousiaste nous expliqua qu’ici les gens se respectent et qu’ici le 2 le 4 et le 7 s’écrivent différemment.

Durant les trois premiers mois qui ont suivi mon arrivée, j’entrepris de trouver un appartement, m’inscrire dans un centre de recherche d’emploi et régulariser ma situation. Ce qui a pourvu mon portefeuille de carte bancaire, carte de résident permanent, carte d’assurance maladie, carte d’assurance sociale et carte de bibliothèque!
J’avais mis un point d’honneur à faire connaissance avec Montréal. Du point de vue touristique d’abord, pour ensuite faire connaissance avec les Québécois. Qu ’ont-ils de différent par apport à moi ? Quelles sont leurs spécificités ?

J’ai commencé à apprivoiser…

Les trois premiers mois écoulés, le grand jour arriva. Celui où le gouvernement allait m’aider à trouver un emploi et m’assurer dans un premier temps la sécurité financière minimale. En voilà une bonne occasion de remettre ma chère cravate !

En m’y rendant, je constate que toutes les personnes qui attendent sont Québécoises. En ma qualité de nouvel arrivant et de résident permanent, j’interroge une agente sur la possibilité d’une erreur : après tout, ma situation est différente.
N’ai-je pas été sélectionné sur des critères plus qu’appréciables ? Ne m’a-t-on pas dit le jour de l’entretien, que je présentais le profil idéal de sélection.
Elle me répondit, de façon inexpressive « Veuillez attendre votre tour Monsieur ! »

Mon tour arriva et on m’annonça avec une certaine fierté que le gouvernement du Québec s’engage solennellement à me verser la somme de … 572 $. En rentrant chez moi j’achète l’indispensable carte de métro à 65 $, je paye le loyer de mon 2 1/2 à 425 $ et je réalise alors qu’il ne me reste que 80 $ pour survivre durant tout un mois. C’est à ce moment précis que j’ai décidé de ranger soigneusement ma cravate en me promettant de la remettre seulement pour le véritable grand jour …celui de mon retour.

Épilogue : 9 mois plus tard.
Quant aux heureuses rencontres, je les ai faites durant mon travail à mi-temps, bien après cette période. En tant que moniteur d’aide aux devoirs, j’ai eu à côtoyer cinq collègues, toutes des femmes québécoises d’âges et de milieux différents. Mères, épouses et filles m’entouraient à la salle des professeurs pour connaître ma culture, mes principes, mes idéaux et pour me faire part, quant à elles, de leurs joies, peines, craintes, espoirs, vie privée, problèmes, idées politiques, etc. Tout cela avec beaucoup d’humour et de simplicité, ce qui m’a permis, en y prenant part, d’humaniser ma situation de nouvel arrivant.. Plus que je ne l’avais imaginé, ça a été la meilleure façon qui pouvait m’être donné de faire connaissance avec un peuple.

Cet article est paru dans l'édition Été 2007 du Jumelé.




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