jeudi 11 octobre 2007

Le statut fragile des aides familiales

Annie KOUAMY

Quand on parle d’aide-familiale, de qui parlons-nous au juste ?
Une aide familiale est une « professionnelle qui exécute diverses fonctions dans une maison privée. Pour assurer la bonne marche du foyer, elle organise et effectue différentes tâches et activités liées au bien-être des membres de la famille. En l’absence des parents de la famille, elle assume l’entière responsabilité des enfants ou des personnes âgées ou souffrant d’un handicap ».
Ces femmes sont surtout originaires d’Asie, d’Afrique, d’Europe de l’Est et de l’Amérique latine, mais près de 90 % viennent des Philippines. Ce qui les pousse à émigrer, c’est simplement la misère, le chômage ou des guerres. Et misère veut souvent dire payer le traitement d’un enfant malade, les frais de scolarité des enfants, les soins à donner aux vieux parents ou simplement plusieurs bouches à nourrir. Elles pensent trouver en Occident des emplois mieux rémunérés que chez elles, et des conditions de vie plus faciles même si cela comporte la douleur de la séparation d’avec leur famille.

Elles arrivent dans le cadre du programme des aides familiales résidentes (PAFR), autorisant un travail temporaire au Canada, pour pallier une pénurie de main-d’œuvre dans le domaine domestique.

Ce programme exige des candidates un diplôme d’études secondaires ainsi que six mois de formation spécialisée ou douze mois d'expérience en puériculture, en gérontologie, etc. De plus, dans un délai de trois ans, elles doivent cumuler vingt-quatre mois de travail en résidence chez un même employeur avant d’avoir le droit de demander la résidence permanente. Ces vingt-quatre mois doivent être cumulés sans interruption sous peine de reprendre le programme à zéro.
Ces aides familiales ont obtenu avant leur départ un visa de touriste, diplomatique ou un permis de travail qui porte le nom de leur employeur. Il est donc interdit de travailler pour plusieurs employeurs à la fois, ce qui limite l’accès au marché du travail et les rend vulnérables aux différentes formes d’exploitation et d’abus. Chaque fois qu’elles perdent leur employeur (rupture de lien d’emploi), elles se retrouvent en situation illégale car le permis qui leur confère leur légalité au Canada, s’en trouve automatiquement caduque. Du même coup, cela supprime leur droit à l’accès aux différents services comme l’assurance-maladie (délai de carence), la sécurité au travail, l’assurance-emploi, le droit de porter plainte contre un employeur abuseur, etc.
Voici un cas tragique et typique qui illustre bien cette fragilité de statut. Une aide familiale est frappée par le délai de carence et doit être hospitalisée. Au bout de quatre jours, elle se fait facturer une somme de 20 000 $. Or, une aide familiale perd en moyenne deux fois son employeur au cours de trois ans alors que le délai de renouvellement des documents d'immigration varie de trois à six mois.
On comprend donc que le plus grand défi pour une aide familiale est le cumul des fameux vingt-quatre mois, car cela représente pour elle le ticket vers l’amélioration de ses conditions de vie et celle de sa famille lointaine, ainsi que vers une liberté d’action et une protection contre les abus d’employeurs, d’agences ou de consultants en immigration. Contrairement à la résidence permanente, le statut temporaire que leur confère le permis de travail nominatif au nom de l’employeur et l’obligation de résider chez lui contribue à la rendre vulnérable face aux abus.
Dans ce contexte, de nombreuses aides familiales vont se retrouver dans des situations où leur confiance sera à de nombreuses reprises trahie. Durant leur parcours, ces femmes vivront l’isolation, des horaires de travail démesurés et le non-respect des jours de congé. Il arrive que certains employeurs ne permettent à leur aide familiale que quelques heures de sommeil par nuit.

Dans plusieurs cas, les documents d’identité sont enlevés et conservés par l’agence ou l’employeur, ce qui rend la détentrice extrêmement vulnérable, sans compter l’intimidation lorsqu’elle ose protester et le harcèlement psychologique et sexuel.



C’est le cas d’une aide familiale qui a eu gain de cause devant la Commission des normes du travail suite à une plainte pour salaire impayé par son employeur qui l’a poursuivie au civil pour dommages et intérêts suite à son refus de payer la somme réclamée.

Nombreuses aussi sont les victimes de traite de même que celles qui sont déjà endettées au moment de leur arrivée au Canada, pour avoir sollicité les services coûteux d’une agence de recrutement international. La GRC estime à huit cent les femmes victimes de traite par an au Canada.
C’est précisément pour veiller à la protection des droits des femmes concernées face à ce genre d’abus, que l’AAFQ légitime son existence. En effet, depuis 1975, l 'Association oeuvre auprès des aides familiales du Québec et sa force et son rayonnement sont fondés sur le rassemblement d’un groupe de femmes originaires de plus d'une vingtaine de cultures différentes, sans oublier les Québécoises d'origine dont les conditions de travail en milieu familial sont sensiblement les mêmes. L'Association a toujours orienté ses actions vers la défense des droits de cette catégorie de travailleuses, ainsi qu'à la reconnaissance, au respect et à la valorisation de cette profession. Elle mène une lutte politique active pour faire avancer leur cause.
Elle revendique entre autres un statut permanent dès leur arrivée au Canada, l’abolition de l’obligation à résider chez l’employeur, la mise sur pied de programmes d’employabilité destinés aux aides familiales résidentes, la possibilité de porter plainte à la Commission des normes du travail contre un employeur abuseur lorsqu’elles sont sans permis de travail.

Pour une meilleure protection des aides familiales, l’AAFQ exhorte le gouvernement canadien à ratifier la Convention des Nations-Unies relative à la protection des travailleurs migrants et leur famille, ce qui comprend un meilleur contrôle des agences de recrutement et des consultants en immigration qui dans bien des cas sont complices dans la traite des femmes.


(Il faut préciser que les hommes sont très peu nombreux à faire ce métier. C’est pourquoi nous utilisons le féminin.)

Information: AAFQ


Cet article est paru dans l'édition Été 2007 du Jumelé.

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