dimanche 20 janvier 2008

Hommes en difficulté et communautés ethnoculturelles :
une autre perspective


JEAN-FRANÇOIS ROUSSEL


« Pendant longtemps dans l’interculturel on s’intéressait beaucoup au choc des nouveaux arrivants. Nous on a arrêté. On s’intéresse au choc des professionnels. Ce qui est problématique dans l’intervention c’est que lorsqu’ils sont en choc, ils se retrouvent dans une situation où se sentant menacés, ils se protègent. Et en se protégeant ils sont dans une position de fermeture où il est très difficile de voir les autres réalités. »

Voilà les paroles d’une travailleuse sociale, d’origine africaine. Non, elle ne parlait pas de propos entendus à la Commission Bouchard-Taylor!
Elle s’adressait plutôt à un auditoire de « Québécois d’origine française » lors d’un colloque sur « Les enjeux interculturels de l’intervention auprès des hommes en difficulté ». Avec la précieuse et intense collaboration de l’Institut interculturel de Montréal, j’ai voulu organiser 4 colloques sur ce thème. Ils ont eu lieu au cours de l’année dernière et nous travaillons actuellement à la publication de certaines des interventions faites alors.

Nous avons choisi de donner la parole à des membres experts de quatre aires culturelles minoritaires au Québec : sud-asiatique, subsaharienne, arabo-musulmane et autochtone.

Que de savants colloques sur la diversité culturelle d’où sont absents ceux et celles dont on parle, les membres de minorités culturelles! Nous souhaitions un changement de perspective : au lieu de réfléchir à ce qui fait problème aux yeux de la majorité caucasienne, de culture historiquement judéo-chrétienne et aujourd’hui se voulant laïque, écouter des membres de minorités nous présenter ce qui pour eux fait problème.

La question de la condition masculine (santé des hommes, condition psychosociale, vie de couple, paternité, violence, vieillissement, etc.) fait l’objet d’un intérêt croissant dans les institutions publiques. Beaucoup d’hommes en difficulté passent au travers des mailles du réseau d’aide qui pourrait les aider en cas de crise. Cela suggère que les services d’aide aux hommes ne sont pas aussi adéquats qu’ils le devraient. Comment les améliorer? Un aspect du problème concerne les hommes de minorités immigrantes et autochtones, en raison de l’écart culturel.

Des experts des diverses aires culturelles sont venus s’adresser ainsi à un auditoire assidu, composé essentiellement de travailleurs sociaux, chercheurs en sciences sociales, gestionnaires et intervenants du réseau québécois des services sociaux et de santé. Des dialogues francs et ouverts ont été amorcés.

Ces rencontres ont révélé chez la plupart des participants une conscience des présupposés qu’ils traînent avec eux dans leurs interventions et questionnements. Inutile de reprendre ici les préjugés qui entourent les hommes des aires culturelles concernées, « arabo-musulmane » ou autochtone par exemple; ces préjugés ont été abordés et largement démontés. D’autres préjugés sont apparus, qui concernent plutôt la manière dont les intervenants perçoivent leur travail :
• les approches employées dans le réseau d’aide aux hommes en difficulté vont de soi;
• les valeurs québécoises découlent d’une évolution historique nécessaire et libératrice pour tous et toutes, peu importe l’origine ethnique;
• « intégrer » l’immigrant (auquel on assimile l’autochtone!), c’est l’aider;
• la religion est une affaire privée, plus ou moins le reliquat traîné par l’immigrant et auquel il tient encore faute d’une intégration complétée.

En somme, la culture québécoise, égalitaire, axée sur le projet de vie individuel, affranchie de la religion, est une culture avancée à laquelle des minorités culturelles retardataires gagneraient à s’intégrer.

Non seulement nos colloques ont-ils fait prendre conscience à plusieurs des effets négatifs de tels préjugés sur ceux qu’on tente d’aider, et dont on regrette parfois la résistance; mais plusieurs se sont vus renvoyés à eux-mêmes, à leur propre situation et aux limites de celle-ci : celle de membres d’une « communauté culturelle » qui s’ignore parfois, surtout dans les gestes les plus habituels, et qui fait face à ses propres problèmes sociaux et fragilités culturelles. « Nous » avons tendance à nous donner pour normaux, voire même pour normatifs. Les rencontres nous ont placés devant une tout autre perspective :

Tout un « choc » pour des intervenants; tout un questionnement à faire, inquiétant mais ô combien nécessaire pour une société culturellement diversifiée.