mardi 7 août 2007

Double vie: Gais et lesbiennes immigrants


Véronique Tardivel


Après plusieurs années dans la clandestinité, Igor est maintenant en attente d’un statut de réfugié. Son rêve, lorsqu’il aura enfin accès à ses droits officiels de citoyen du monde, est de retrouver sa dignité et « sortir du placard ! »

Depuis son arrivée au Canada, pour éviter la solitude complète, il entretient une relation qu’il qualifie de superficielle avec sa communauté d’origine. Le village, il le connaît. Mais Igor a peur de s’afficher sous ses vraies couleurs. Sa vie durant, il n’a connu que la persécution. Il cultive la crainte qu’on le dénonce à ses proches. S’ils apprenaient la vérité, ils le rejetteraient immédiatement. « C’est arrivé à un ami. Lorsqu’on a su qu’il était gai, on l’a tabassé puis expulsé ».

L’acceptation de son orientation sexuelle n’est pas chose simple, même ici dans une société nord-américaine dite « ouverte ». « Je me sens terriblement coupable d’être homosexuel », confesse l’homme aux traits tirés par la fatigue. Il est conscient que sa religion, à laquelle il est attaché, condamne et ne reconnaît pas l’amour entre les gens de même sexe. Pour échapper à l’exclusion, plusieurs personnes des communautés culturelles sont ainsi contraintes à dissimuler leur homosexualité et doivent mener une double vie. Parfois, le coût psychologique est chèrement payé.

La réalité des nouveaux arrivants est complexe en raison de leur appartenance à des cultures où la tradition et la religion sont des valeurs fortes. Le niveau d’acceptation de l’homosexualité diffère selon les communautés. Certaines démontrent une fermeture totale, voire nient son existence. « C’est souvent perçu comme un phénomène social occidental « blanc » lié à la permissivité des sociétés du Nord », révèle André Noël, conseiller à la Direction générale des relations interculturelles du Ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles.

« Il y a des parties du monde où la situation des personnes homosexuelles, bisexuelles et transsexuelles est encore particulièrement dangereuse. L’hétéronormativité y est toujours dominante et l’homophobie, un comportement généralisé ». Dans un document informatif qu’André Noël rédige, il met en lumière des faits troublants. « Dans près de la moitié des États du globe, l’homosexualité est criminalisée. Dans plusieurs pays de l’Est, notamment en Russie, Pologne, Roumanie, Bosnie, Albanie et en Turquie, les forces de l’ordre exercent une répression contre les personnes homosexuelles et transsexuelles. Au Liechtenstein, l’État restreint la liberté d’expression des gais et lesbiennes en imposant une censure sur les publications homosexuelles et en interdisant tout rassemblement gai ou lesbien. » De plus, il divulgue que « dans une dizaine de pays où la charia est appliquée, notamment en Iran, en Arabie Saoudite et au Pakistan, l’homosexualité est passible de la peine de mort. »

Fuir l’homophobie



Le cas de Zaki, un Égyptien nouvellement reçu au Canada comme demandeur d’asile est révélateur. En 2001, celui-ci est victime de l’infiltration d’un policier sur un site Internet de rencontre pour homosexuel qu’il consulte fréquemment. Zaki accepte un rendez-vous avec cet homme et tombe dans un véritable guet-apens. Sous prétexte d’une loi morale fallacieuse, on l’arrête. Tous les clavardages échangés avec l’agent sont retenus contre lui lors de son procès. Il est condamné à six années de détention, dont trois en liberté conditionnelle assistée. Ce jeune homme ne fut pas le seul cas de persécution en raison de son orientation sexuelle, mais certainement le plus médiatisé. Les ONG internationales dont Humains Rights Watch et Amnistie Internationale ont été alertées. Rien n’indiquait que l’Égypte, dernier bastion laïque de la région, procèderait à une forme détournée de criminalisation de l’homosexualité. Les pressions effectuées par ces organismes auprès du gouvernement égyptien pour la libéralisation de Zaki ont réduit sa peine de moitié. Son identité dévoilée au grand jour, il risquait sa vie en retournant dans son village natal. Il est maintenant condamné à l’exode.

« En arabe, il existe un mot littéraire pour désigner une relation entre des personnes de même sexe, mais il n’est pas utilisé. On préfère utiliser des termes péjoratifs », lance Saïda, une jeune immigrante d’origine marocaine. Elle et sa compagne française, Mireille, n’ont pas volontairement choisi le Canada pour l’exil. En 1995, l’annonce du mariage arrangé de Saïda avec un Canadien de sa communauté est une épreuve douloureuse pour les deux femmes nouvellement en couple. Devant l’impossibilité d’obtenir ses papiers en France, ce mariage représentait pour Saïda l’opportunité d’obtenir un statut de résidente dans un pays tolérant envers l’homosexualité. « Nous en avons longuement discuté et nous nous sommes préparées au pire. Mireille m’a finalement suivi dans mes valises ! » Les deux premières années à leur arrivée au Québec, elles se côtoient en cachette chez une amie. Aïda divorce ensuite et coupe les ponts avec la communauté marocaine d’ici. « Évidemment, l’option de divulguer ma relation avec Mireille à ma famille au Maroc n’est pas envisageable. Je serais reniée sur le champ ».

Remy est coordonnateur bénévole de HeLem Montréal, un organisme qui cherche autant à sensibiliser, assister et protéger les Arabes LGBT (lesbienne, gai, bisexuel et transexuel) que de promouvoir leur reconnaissance au sein de leur communauté d’origine. Le taux élevé de recrutement des derniers mois, il l’associe à l’exode massif des Libanais vers le Canada. Cette situation témoigne, selon lui, de l’urgence d’agir. « Nous devons développer une meilleure infrastructure d’accueil adaptée aux immigrants, réfugiés et demandeurs d’asile d’appartenance LGBT dont le nombre augmente d’année en année. »

« Au sein de la communauté gaie et lesbienne québécoise, on croit que la plus haute marche a été franchie avec la reconnaissance du mariage gai et qu’il n’y a plus de bataille », déplore Alejandro Labon, coordonnateur du Réseau LGBT à Amnistie International.

Double intégration



« La communauté blanche, de souche catholique et francophone possède sa propre histoire d’émancipation. Mais nous vivons un choc lorsque nous arrivons ici. Nous idéalisons la nouvelle société d’accueil. Bien vite, la réalité de la double discrimination raciale et sexuelle nous rattrape. D’une part, il y a notre intégration en tant que minorité ethnique visible dans la société québécoise et, de l’autre, nous devons faire face à nos communautés respectives qui, même établies au Québec, conservent leurs principes, leurs préjugés », explique Nada, une jeune femme d’origine libanaise très active au sein de divers organismes LGBT québécois. « Force est d’admettre que le repli identitaire et la ghettoïsation de ses groupes cultivent certaines attitudes. Il y a des choses qui évoluent dans nos pays natals, mais qui ne bougent pas ici. Résultat, la société libanaise d’ici va être 250 fois plus homophobe que celle du Liban! » Nada et ses pairs sont conscients de l’important travail d’éducation qu’ils doivent accomplir. Et ce, tant au niveau des communautés culturelles, de la communauté gaie et lesbienne québécoise qu’au niveau des intervenants qui oeuvrent dans les ministères et organismes aux services des nouveaux arrivants.

Dans cet esprit, plusieurs groupes ethnoculturels LGBT, créent, en 2003, la Journée Ethnoculturelle. Un événement de plus en plus rassembleur qui a pour objectif d’initier un dialogue, d’élever des ponts entre les différentes communautés et acteurs concernés. « Une de nos visées prend la forme d’un partenariat avec la communauté mainstream gai et lesbienne québécoise. Nous voulons à la fois la sensibiliser à notre réalité, à nos besoins et apprendre d’elle, de ses expériences », déclare Nada coordonnatrice de cette journée. À la première édition, le projet de la coalition MultiMundo est mis sur pied. Elle représente la première association des groupes communautaires LGBT ethniques au Québec.

De son côté, Roberto Jovel, ancien membre du CCR (Conseil canadien pour les réfugiés), offre des formations aux intervenants du milieu de l’immigration pour éliminer les préjugés hétérosesexistes. Sachant que les demandes de revendication du statut de réfugié fondées sur l’orientation sexuelle sont en continuelle hausse au Canada, il est préoccupé par le manque de ressources des jeunes organismes ethnoculturels LGBT : « Ils sont composés de bénévoles, n’ont évidemment que peu de budget et d’équipements. Ils n’ont pas été formés pour faire face à la complexité du service de l’immigration. Pour l’instant, on ne peut pas espérer autre chose de leur part qu’un soutien moral. »

Roberto questionne également l’inexistence chez les organisations de la communauté gai et lesbienne locale d’une politique proactive d’inclusion envers les personnes LGBT issues des minorités visibles. « Il n’y a pas de prise en charge du fait que la communauté se diversifie. Ils ne devraient pas attendre que ces groupes et personnes frappent à leur porte. C’est une responsabilité de société d’enrayer la discrimination. »

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