mardi 7 août 2007

Homoparentalité et mixité culturelle

Blandine PHILIPPE


En apprenant l’orientation sexuelle de leur fils, la première réaction des parents d’Alain en fut une de désolation, « ils n’auraient pas la possibilité d’être des grand-parents. »
Aujourd’hui professeur de littérature, Alain démêle patiemment les cheveux crépus d’Ariane. Les nouvelles tresses de l’enfant nécessiteront de longues heures, de minutie et de patience. « Elle serait très belle avec les cheveux courts, mais elle ne veut pas » sourit Alain devant la nonchalance de sa fille qui se déhanche au rythme de la musique créole.

Arianne, aujourd’hui âgée de neuf ans, est pour le moment encore, l’une des rares enfants dont l’acte de naissance comporte deux pères, Alain et Robert.
Tous les deux sont caucasiens. Leur fille, née en Haïti, est arrivée au Québec à l’âge d’un an. « On sait que l’on est minoritaire de tous les côtés, mais on n’a pas à porter notre marginalité ». Leur histoire est une Rencontre.

À quelques coins de rues, au cœur du Plateau Mont-Royal, Antonio prépare une purée de légumes tandis que Gary surveille la température de l’eau du bain. Leur fils Jérémy vient de souffler sa première bougie.
Le couple s’est rencontré quelques années plus tôt à Paris, dans le cadre du travail. Gary est un anglophone de l’ouest canadien, Antonio est mexicain.
Initialement, Antonio ne pouvait pas concevoir qu’il soit possible de donner et vivre de l’amour avec un homme. Il lui a fallu plusieurs mois de réflexion pour balayer ses propres préjugés et se libérer de ceux de sa famille, de sa religion, de ses amis et de sa culture d’origine… avant d’accepter de vivre ce qu’il avait à vivre avec Gary.
L’un comme l’autre ont beaucoup voyagé et vécu sur plusieurs continents. C’est donc en toute connaissance de cause qu’ils choisissent ensemble de s’installer au Québec, motivés par ce qu’ils en perçoivent: l’esprit de liberté qui y règne, l’ouverture des mentalités relativement à la question homosexuelle, la simplicité des démarches administratives d’immigration comparativement à celles de la France, et surtout la plus grande facilité des procédures d’adoption.

On se retrouvait nous, deux hommes, avec une enfant noire.



Gary et Antonio ont pu profiter des très récents changements de critères des Centres jeunesse de Montréal qui accepte dorénavant les personnes homosexuelles en banque mixte. Il s’agit d’un programme créé pour répondre à l’objectif d’assurer un maximum de chances aux enfants à risque « d’abandon », en leur fournissant le plus tôt possible dans leur vie, un milieu substitut adéquat et stable, dans une perspective éventuelle d’adoption.

Il y a peu de temps, ce genre de situation était encore impensable. Alain et Robert, aujourd’hui mariés, en savent quelque chose, eux qui ont du parcourir un chemin difficile, il y a huit ans, pour adopter une jeune enfant. Ils sont conscients de l’avant-gardisme de leur démarche. « Quand l’enfant est arrivée, partage Alain, on avait très peur. On n’en avait parlé à personne. On avait peur des réactions des voisins et de tout le monde. On se retrouvait nous, deux hommes, avec une enfant noire. On appréhendait également la réaction de la communauté haïtienne. »
Mais leurs tergiversations mentales et leurs scénarios de peur n’ont trouvé aucun écho !
Agréablement surpris du préjugé favorable manifesté par leur environnement social, ils ont pu constater à quel point la société semblait mûre face à cette question d’homoparentalité et de mixité culturelle. Les portes se sont ouvertes les unes après les autres : d’abord à la garderie, puis à l’école qui a invité les deux papas d’Ariane à venir faire une présentation auprès de ses camarades de classe sur leur cellule familiale atypique, et enfin dans la communauté haïtienne elle-même.

Ça a changé notre regard sur les communautés culturelles, précise Robert. C'est comme si on en faisait dorénavent partie.



Alain explique : « On a beaucoup lu sur Haïti et sur les réalités de la mixité culturelle, notamment quant aux liens Blancs-Noirs. On savait que beaucoup de Noirs n’acceptent pas que leurs enfants soient avec des Blancs, par crainte de la fragmentation culturelle, par exemple ». Par le fait même, Robert et Alain se sont ouverts sur cette culture. Outre la lecture d’ouvrages sur l’histoire et la société haïtienne, ainsi que sur ses poètes, ils ont visionné de nombreux films sur le pays jusqu’à entammer l’apprentissage du créole.
« Ça a changé notre regard sur les communautés culturelles, précise Robert. C’est comme si on en faisait dorénavent partie. Du même coup on fréquente des Haïtiens et l’on constate qu’ils n’ont aucun problème avec notre homosexualité. »

Antonio de son côté confie: « Quand on a un enfant, on dirait qu’il y a plus d’acceptation. Les gens semblent mettre de côté leurs préjugés et leurs a priori. Grâce à la magie opérée par l’enfant, on se débarasse de pas mal de choses (…) d’ailleurs je ne vois même pas que notre fils est Noir. »

Gary est quant à lui surpris de constater que leur situation suscite autant de curiosité mais il espère que l’image projetée aide à une certaine éducation morale et nourrit la tolérance. Il remarque que l’Ouest canadien leur a été beaucoup moins accueillant, tout en mitigeant son propos par un questionnement, « la société québécoise est-elle réellement ouverte ou craint-elle de se faire « taxer » de raciste et d’homophobe ? »

À en juger certaines mauvaises expériences vécues par Ariane, la cour d’école n’est pas à l’abri des comportements d’exclusion. Les enfants peuvent parfois être très durs entre eux. Celui ou celle qui se sent différent pourrait avoir tendance à ne pas se défendre des attaques et insultes, espérant ainsi se faire accepter et non pas risquer de se faire exclure davantage. Ce qui fait dire à Charles et Robert que les enfants ne sont pas très ouverts aux différences, quelles qu’elles soient, et qu’il faut toujours être extrêmement vigilent parce que ce n’est jamais totalement gagné.

Alors, si vous croisez un homme tenant par la main un enfant d’une couleur de peau différente de la sienne, ne lui demandez pas de quelle origine est sa femme… pas plus que vous ne demanderez à deux hommes poussant un carosse si c’est la journée de congé de la maman, …vous aurez vu et compris que ces diversités existent !

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